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La nécessité du présent

« Je veux apprendre toujours davantage à considérer comme la beauté ce qu’il y a de nécessaire dans les choses : c’est ainsi que je serai de ceux qui rendent belles les choses. […] Amor Fati : que cela soit dorénavant mon amour. Je ne veux pas entrer en guerre contre la laideur. Je ne veux pas accuser, je ne veux même pas accuser les accusateurs. Détourner mon regard, que ce soit là ma seule négation ! Et, somme toute, en un mot : je veux, quelle que soit la circonstance, n’être une fois qu’affirmateur ! 1»

Si quelque chose est arrivé, c’est que cela devait arriver. Le passé n’a jamais tort.

« Oui ! » Voilà la bonne réponse à donner à la vie et aux événements qui nous arrivent. Chaque jour il y a du bon et du mauvais dans notre vie, mais dans notre jugement, dans notre appréciation du présent, il n’y a de bien et de mal que dans ce que nous désignons comme bien et mal. La laideur dans le monde et la haine pour les autres n’existent que dans l’esprit de celui qui les exprime. La douleur et la souffrance ne sont que des indicateurs internes que quelque chose n’est pas tout à fait alignée avec le réel, et qu’il faut donc se corriger. Mais au bout du compte ce qui devait arriver est arrivé malgré tout, et nous voilà dans ce présent d’aujourd’hui, et dans aucun autre. Il ne changera pas, ne s’écartera pas, ne se cachera pas, car il est ce qu’il est, et c’est à nous de s’engager dans sa réalité.

Le passé est écrit une fois pour toute, et toute notre colère comme toutes nos larmes n’y changeront rien. C’est ce qu’on appelle le destin. Il est ce que le présent doit être quand on a raconté tout le passé. Nous ne sommes pas au-delà de notre humanité, nous subissons la flèche du temps. Elle nous perce quand nous la regardons dans le mauvais sens. « Ne demande pas que ce qui arrive arrive comme tu désires ; mais désire que les choses arrivent comme elles arrivent, et tu seras heureux. 2» Car trop de temps a été perdu à être triste de sa réalité. Or la tristesse n’a rien changé.

Je suis le seul à vivre ce que je vis. Personne n’aura semblables sentiments, ni n’aura vu ce que j’ai vu, ni n’aura aimé comme j’ai aimé. Je suis seul à savoir ce qui s’effacera à tout jamais avec moi, pourtant je me plains de n’avoir rien d’unique et d’exceptionnel à porter : j’ai pourtant toute une vie humaine à raconter. Que d’images dans ma tête, que de joies, que d’envies, que de folies, que de peurs, que de bêtises, que de mots qui devaient être dits et qui ont été tus, que de mots qui devaient être tues et qui ont blessés, que d’amitiés partagées, que d’amours rêvés, que de conflits insensés, que d’ambitions, que d’échecs, que de réussites, que de combats (beaucoup de combats), que de peines oubliées, comme si elles n’avaient jamais existé. Pour tout raconter, il me faudrait toute une autre vie. Mais il me faudrait vivre la mienne avant de la partager, si j’ai le temps de la partager car j’ai d’abord envie de la vivre. Quelques fois, j’ai fait l’erreur de détester ma vie, et à chaque fois c’était une fois de trop. Tout ce que j’ai vécu était nécessaire. Tout ce que je suis aujourd’hui a raison d’être. Je ne peux rien contre l’état du présent, je ne peux que l’observer et dire : « oui, c’est ainsi que tu es. Je te veux et je te vivrai. »

1 Nietzsche, Le gai savoir, 276

2 Épictète, Manuel, VIII

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