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La vie philosophique, ou la mort

Il y a dans la vie bien pire que la mort.

On se demande parfois comment est-ce que certaines personnes ne comprennent pas pourquoi sont-elles si malheureuses, haineuses, et perdues ? Elles se plaignent d’un malheur qu’elles provoquent elles-mêmes, et qu’elles sont incapables de dépasser. Même en revivant mille fois, elles feront toujours les mêmes choix qui les condamnent, les mêmes erreurs qui les terrassent, les mêmes fautes qui les tuent.

Cette misère pourtant est possible à éviter. Les philosophes de l’antiquité, il y a déjà plus de 2000 ans, en savaient moins sur le monde que la plupart des gens aujourd’hui, mais ils en savaient beaucoup plus sur la vie humaine que la plupart des gens aujourd’hui.

La lecture de « Qu’est-ce que la philosophie antique ? » de Pierre Hadot est comme une révélation que l’on a cherché depuis longtemps. On comprend que les philosophes antiques nous proposaient de ne pas vivre bêtement, emporté par ses désirs, ses émotions, ses réactions automatiques. De ne pas subir le monde, mais de le traverser de manière consciente et affirmée.

Bien trop de fois l’on est manipulé par des publicités qui veulent nous vendre des choses dont nous n’aurons jamais besoin, par des gens qui veulent nous utiliser pour atteindre leurs désirs suspects, par des idéologues qui veulent nous faire croire à un monde qui les avantage, et par des nihilistes sans valeurs qui préfèrent simplement voir le monde en ruines. Des gens qui finalement traversent la vie sans réfléchir à ce qu’ils font, de manière automatique, à suivre le chemin le plus facile et le plus glorifié, comme des cadavres insensés qui se dirigent inconsciemment vers leur tombe.

Les philosophes antiques, comme les stoïciens par exemple, pensent qu’au lieu de suivre bêtement les pensées dominantes et les désirs qui ne mènent nulle part, une meilleure vie est possible. Mais, comme le dit Pierre Hadot, pour vivre une vie philosophique, il faudrait : « Changer toute sa manière de penser et sa manière d’être.1 »

C’est possible ! Même souhaitable.

La vie philosophique est préférable à la mort lente et inconsciente que propose certaines pensées dominantes.

Je voudrais montrer ici que la vie philosophique se caractérise par trois composantes vitales qui sont :

– Vivre en se connaissant soi-même

– Vivre en aspirant à plus de sagesse

– Vivre en se rappelant qu’on est mortel

Vivre en se connaissant soi-même

La plus célèbre phrase de Socrate est sûrement : « Connais-toi toi-même. »

Quand on parle de philosophie antique ou de philosophie en général, on parle de l’avant-Socrate et de l’après-Socrate. Non pas qu’avant Socrate on ne philosophait pas. Il y avait bien des philosophes qu’on appelle les présocratiques : Pythagore, Héraclite, Parménide.

Socrate a été aussi influent car c’est le premier vraiment à se demander : Pourquoi pense-t-on ce qu’on pense ? Pourquoi faisons-nous ce que nous faisons ? Tout cela pour savoir au final : comment vivre en tant qu’être humain ?

La vie philosophique consiste a savoir qui on est, comment on est, comment on fonctionne, qu’est-ce qui nous influence, pourquoi est-ce que ça nous influence, qu’est-ce qui provoque des émotions fortes en nous, pourquoi ça arrive, et comment faire pour mieux vivre en sachant tout cela. Cela demande beaucoup d’introspection, de questionnement, d’attention à soi (http://www.apprendreavivre.fr/etre-vigilant-a-ce-qui-se-passe-en-nous/), de connaissances que l’on peut accumuler, aujourd’hui mieux qu’avant, grâce à la science.

Savoir comment est-ce que nous fonctionnons permet de mieux agir sur nous-même. Comme un mécanicien qui sait comment fonctionne une voiture, et sait s’il manque de l’huile, du liquide de refroidissement, s’il y a un problème avec la courroie de distribution, ou s’il faut changer les pneus.

Se connaître soi-même prend du temps, beaucoup d’honnêteté avec soi, et beaucoup de frustration. Mais quelle victoire de se comprendre mieux, de savoir ce qui nous meut, et de savoir agir en conséquence pour aller vers le meilleur !

J’oserai même dire que c’est une fierté.

Vivre en aspirant à plus de sagesse

Le philosophe ne souhaite pas se connaître soi-même juste pour le plaisir que ça procure. Il a un but. Le but du philosophe est d’aller vers plus de sagesse. C’est dans le mot « philosophie » lui-même. Le philosophe aime la sagesse et la veut.

Aspirer à la sagesse, c’est apprendre à mieux vivre, à faire des choix qui ont été réfléchis et évalués scrupuleusement par la raison, à vivre de manière éthique plutôt que matérialiste et consumériste, en accord avec ses valeurs de Courage, de Justice, de Contrôle de soi, et de Sagesse pratique (savoir agir selon les circonstances).

Quelqu’un qui avance vers la sagesse sait pourquoi est-ce qu’il fait ce qu’il fait, qu’il doit réfléchir à ses actions et l’impact qu’ils auront sur lui, sur les autres, et sur le monde. Il n’agit pas de manière insouciante et inconsciente. Il ne laisse pas les autres influencer négativement ses pensées. Il ne laisse pas le manque de valeurs des autres encombrer le chemin qu’il a entrepris vers la sagesse.

Vivre en se rappelant qu’on est mortel

Peut-être la chose qui différentie le plus le philosophe des non-philosophes est qu’il ne vit pas comme un immortel. Il a conscience que la vie est limitée, sans durée prédéterminée. Il vit avec la conscience que chacune de ses actions ne peut être futile.

Ne pas avoir conscience qu’on est mortel, c’est déjà mourir chaque jour sans en avoir conscience. C’est être mort avant la mort.

Comme le dit Sénèque : « Peux-tu me nommer un seul homme qui sache que le temps a un prix, qui fasse l’estimation de la valeur de la journée et qui réalise qu’il meurt un peu chaque jour ?2 »

Sénèque explique que la mort n’est pas que devant soi, elle est dans tous les moments que l’on n’a pas vécu et où l’on a oublié qu’on est mortel.

Le philosophe garde quelque part dans son esprit qu’il est mortel, et qu’il ne peut pas vivre inconsciemment. Garder en tête qu’il est mortel est ce qui lui évite de vivre machinalement, et le pousse à se connaître lui-même et aspirer à davantage de sagesse. Il évite de se perdre dans le passé plus qu’il ne peut en apprendre pour mieux agir dans le présent, et évite de trop rêver son avenir plus que ça ne le pousse à mieux avancer dans le présent.

Vers la vie philosophique

La vie philosophique est une manière de vivre que le philosophe a choisi de manière consciente, volontaire, et réfléchie. Elle demande du travail sur soi pour mieux comprendre qui l’on est et comment on fonctionne, pour aspirer tous les jours à plus de sagesse, et pour garder en tête que l’on est mortel afin que chacune de nos actions ne soit pas faite inconsciemment.

« Alors que l’on attend de vivre, la vie passe.3 » nous dit Sénèque. Or celui qui choisit la vie philosophique le refuse.

Quand le présent appelle à l’action, le philosophe répond : « Allez ! »

1 Qu’est-ce que la philosophie antique ? La philosophie comme mode de vie, p.162.

2 Sénèque, Lettres à Lucilius, 1.

3 Ibid.

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