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Méditation sur le temps

Méditation sur le temps

J’ai eu plusieurs fois cette réflexion, en pensant au temps du confinement, au temps qui vient après, à l’année 2020 en entier : beaucoup de temps a été perdu. Du temps où nous aurions pu sortir, rencontrer de nouvelles personnes, faire des activités de printemps, rire avec nos amis, profiter du soleil. C’est comme si notre vie avait été dérobée, comme si on nous avait vieilli plus vite, car le temps passé durant le confinement n’avait pas l’air d’être du temps vécu, mais du temps mort. Il y en a qui voudraient supprimer l’année 2020 du calendrier, car il serait bien d’oublier qu’en cette année nous avons malgré tout existé.

Le confinement et la menace du virus a permis à tout le monde de se rendre compte de l’écoulement du temps. Nous vivons tous à côté de la rivière, mais peu de gens entendent son flux. Là il n’y avait pas où s’échapper. L’eau avait débordé et nous est arrivé aux pieds. Nous ne pouvions plus l’ignorer. D’habitude c’est durant des jours très précis que nous nous souvenons de notre âge. Soit durant notre anniversaire, soit durant le passage à la nouvelle année, qui est une sorte d’anniversaire pour tout le monde. Ici, le temps est beaucoup plus présent, tellement que, pour le traverser, il vaut mieux boire pour oublier… C’est le moment que nous prenons pour dresser un bilan, en se rendant compte de tout le temps perdu, et parfois pour prendre des résolutions pour nous remonter le moral, momentanément. Une manière de se dire que le temps n’est pas complètement perdu, que nous pouvons le rattraper.

Est-ce qu’il est trop tard ?

Parfois je me dis oui. Et j’ai peur d’avoir raison. Car il y a bien un jour où il est trop tard. Nous ne pouvons pas recommencer indéfiniment. Celui qui se dit qu’il peut toujours recommencer n’avance jamais dans sa vie, il reste obsédé par le passé. Le temps perdu est vraiment perdu. Tout ce que nous aurions aimé faire et que nous n’avons pas fait ne peut plus être fait de la même manière. Il n’aura pas le même goût. Un quadragénaire qui veut subitement refaire la fête qu’il n’a pas osé faire durant ses vingt ans se fait des illusions. Il y a bien un temps qui est passé, définitivement passé, et qui ne peut pas se revivre plus tard.

Cela ne veut pas dire que nous ne pouvons pas réussir là où nous avons échoué par le passé. Ce serait de l’abandon et du désespoir. Non. Peut-être même que nous pouvons mieux réussir aujourd’hui ce que nous avons plusieurs fois raté par le passé. Car nous avons appris ce que nous ne savions pas avant. Nous ne pouvons plus revivre le passé comme on aurait aimé qu’il soit, mais le présent et l’avenir peuvent être meilleurs. C’est par là qu’il faut regarder, plutôt que de regarder en arrière.

Il est parfois trop tard pour certaines choses, certaines histoires, certaines expériences, mais il n’est pas trop tard pour tout, il n’est pas trop tard pour nous.

Est-ce qu’il est temps ?

C’est ce que j’aimerais croire. C’est ce que j’aimerais vivre. Beaucoup de temps a été perdu. Mais est-ce que nous n’en avons pas assez de le laisser s’échapper ? Combien de fois allons-nous regretter le temps perdu ? Nous lamenter a-t-il jamais fait reculer le temps ? Et l’avenir ne mérite-t-il pas plus notre attention ?

Il n’y a pas que durant le confinement que nous avons perdu du temps. Il n’y a pas que le confinement qui créé du temps mort. Nous sommes responsables de la mort de beaucoup de nos heures. Chaque moment que nous ne vivons pas est un moment qui appartient au passé et qui est mort. Comme le dit Sénèque : « Oui, chaque jour nous retire une portion de notre vie : alors même que l’être est en croissance, la somme de ses jours décroît. Nous avons laissé derrière nous le bas-âge, l’enfance, l’adolescence. Tout le temps écoulé jusqu’à hier est perdu pour nous ; ce jour même que nous vivons est partagé entre la vie et la mort.[1] »

L’année 2020 va être pour toujours marquée par des circonstances hors du commun, mais l’écoulement de nos vies est de notre responsabilité. Chacun peut savoir ce qu’il est temps pour lui de faire. Chacun à son âge peut évaluer où il en est et comment investir au mieux son temps. Pour certains il est temps de se marier, pour d’autres de se séparer, il est temps de sortir voir le monde ou de rentrer pour se concentrer sur soi, de monter à de nouvelles hauteurs ou de descendre sur terre, de se souvenir de qui l’on est ou d’oublier tout ce qui nous a blessé. Mais pour nous tous, il est temps d’arrêter de vivre dans le passé, et d’avancer là où il est temps d’être, sans se comparer aux autres, car chacun a son propre temps. Qui nous a demandé de vivre en suivant l’horloge d’un autre ?

Le temps qui reste

Ces questions de temps reviennent souvent me perturber, comme beaucoup de gens. Ce n’est pas pour m’angoisser, mais pour me souvenir qu’il faut agir, et faire du mieux que l’on peut, et tout le bien que l’on pense pouvoir faire. C’est pour me souvenir que nous sommes des êtres limités dans le temps, et qu’il ne faut jamais sacrifier notre liberté dans la nonchalance, à reporter notre vie à un moment qui n’est pas garanti. Car la méditation sur le temps est en effet une méditation sur la mort. Le temps ne serait pas un problème si nous étions infinis. Mais nous ne le sommes pas. Alors il vaut s’en réjouir que s’en plaindre.

Le temps perdu est derrière nous. Et le temps qui reste est à nous, si nous ne l’oublions pas. Alors combien il en reste ? Je ne suis ni dieu ni parque. Mais je crois Sénèque et je le soutiens quand il dit : « Le bien de la vie n’est pas dans la durée de celle-ci, mais dans son emploi.[2] »

Alors à voix haute je dis : « Allons ! Il est temps ! »


[1] Sénèque, Lettre à Lucilius 24

[2] Sénèque, Lettre à Lucilius 49

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