Il y a une question que je me pose fréquemment et dont la réponse me perturbe : « est-ce qu’il y a un âge où il est trop tard pour être sage et bien vivre ? »
Car si la réponse est non et qu’on peut à tout âge être sage, ne plus être perturbé par l’anxiété, par la compétition et l’ambition, par les conflits émotionnels, ne plus se laisser emporter par les désirs des autres et de soi-même, alors pourquoi ne pas attendre le vieil âge pour être sage ?
C’est beaucoup plus facile d’être sage quand on est vieux. Il n’y a plus autant de temps et bien moins de possibilités pour être ambitieux et recevoir les plus hautes acclamations pour ceux qui ne les ont pas eu. Il n’y a plus besoin de se démener et d’être compétitif pour avoir le meilleur partenaire sexuel possible car il n’y a plus d’enjeu comme lorsqu’on est jeune et sans enfants. La plupart des relations amicales sont déjà faites et les années font qu’on connaît bien les gens qui nous entourent, comment ils réagissent, ce qu’ils attendent. La biologie fait que les désirs sont beaucoup moins forts, le corps est beaucoup moins puissant, être envieux est beaucoup moins nécessaire. On devient sage de force. On n’a même pas besoin de leçon pour savoir qu’il ne faut pas se soucier de ce que les autres pensent, on s’en moque car on n’a plus envie de se fatiguer par manque d’énergie. On se moque des jeunes qui se démènent pour atteindre leurs désirs, et on leur dit qu’ils ne savent pas ce qu’ils font car ils sont jeunes et bêtes, alors qu’on oublie que dans la vieillesse, on n’a même plus la force de désirer et d’essayer de satisfaire ses désirs.
Que ça tombe bien que le silence, la quiétude, le mouvement lent et la parole réservée soient des caractéristiques du sage. C’est beaucoup plus facile d’être sage quand on est vieux. Plus on avance en âge, plus on cherche la gentillesse chez les autres, la sollicitude, l’indulgence, la tempérance et le calme. Tout ce dont a besoin le vieux corps.
La jeunesse ne veut pas de tout ça. La jeunesse veut la bataille. La jeunesse veut se démener et être capable de réussir ce que les autres n’ont pas réussi. On dira que ce n’était pas la peine de se fatiguer quand on aura échoué. Ceux qui ont réussi n’ont pas besoin de le dire. Si la jeunesse a toujours le temps de devenir sage, pourquoi vieillir trop tôt ?
Être sage quand on est jeune est contre-nature. On peut toujours se transformer en donneur de leçons plus tard. On nous donnera plus de crédibilité avec une barbe blanche sous des rides. Il est très sage d’avouer ses erreurs passées, alors commettons-les quand on a encore l’excuse de la jeunesse. On nous pardonnera d’avoir blessé, d’avoir trahi, d’avoir abusé, et d’avoir usé de tout le pouvoir qu’on a pu gagner. Il suffit de se repentir, et faire la leçon. On ne savait pas ce qu’on faisait de toute façon. On pourra dire aux jeunes que c’est mauvais et méchant et qu’il vaut mieux être sage…
Donc « est-ce qu’il y a un âge où il est trop tard pour être sage et bien vivre ? » La réponse est négative, mais peut-être qu’il vaut mieux vivre comme si la réponse était positive.