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L’écologie stoïcienne ?

« Notre maison brûle et nous regardons ailleurs » Jacques Chirac, discours au 4ème sommet de la terre, 2 septembre 2002.

Cette phrase célèbre de l’ancien président de la République nous a été rappelée après l’été incroyablement chaud que nous avons vécu cette année.

Je ne vais pas expliquer ici les enjeux et les dangers du changement climatique. Voici une vidéo qui explique très bien le problème :

https://youtu.be/M2wI25p_7GA?t=140

Je vais simplement rappeler que l’activité humaine et la surconsommation d’énergies fossiles provoque un changement accéléré du climat, ce qui a des conséquences désastreuses sur la vie humaine.

Partant de là, je me demande, est-ce que le stoïcisme est une philosophie écologique ? Ou est-ce qu’il peut y avoir une écologie stoïcienne ? Qu’est-ce que diraient les stoïciens par rapport au changement climatique d’aujourd’hui ?

J’ai lu quelques fois que si on pense de manière stoïcienne, alors le changement climatique ne nous concerne pas car :

– Le monde et la planète ne dépendent pas de nous (voir la première entrée du manuel d’Épictète), et croire l’inverse, c’est être mégalomane.

– Ce qui est fait est fait, le changement climatique est arrivé et ça ne pouvait pas être autrement, et s’il doit continuer on n’y peut rien non plus, car comme l’explique Pierre Hadot sur le stoïcisme :

« Que l’homme le veuille ou non, les choses arrivent donc nécessairement comme elles arrivent. La Raison universelle ne peut agir autrement qu’elle n’agit, précisément parce qu’elle est parfaitement rationnelle. » Pierre Hadot, Qu’est-ce que la philosophie antique ? La philosophie comme mode de vie, p.203.

Si on en reste sur ces principes-là du stoïcisme, on peut conclure qu’on n’y peut rien. On peut continuer à surconsommer comme on veut, à polluer, à détruire, car ce qui arrive à la planète ne dépend pas de nous, et tout ce qui arrive est nécessaire. Le stoïcisme n’est donc pas une philosophie écologique. Même qu’elle est l’inverse de ça. Surtout quand on pense le stoïcisme comme un américain qui veut bien admettre qu’il y a changement climatique, mais qui ne veut pas pour autant y faire quelque chose.

Mais le stoïcisme n’est pas que le principe de distinction de ce qui dépend de nous, et la nécessité du présent. Cette philosophie est un système bien plus complexe, et si on n’en comprend pas la totalité, on peut lui faire dire bien des bêtises.

Certes, ce qui arrive dans le monde ne dépend pas de nous, mais comment nous agissons face à ce qui arrive dépend de nous. Et si on pense que de toute façon le destin va s’imposer à nous et qu’on n’y peut rien, c’est l’argument du paresseux qui oublie que ses actions (qui dépendent de lui) font partie du destin. (Voir le dernier article sur la nécessité de l’action https://www.apprendreavivre.fr/stoicisme-il-faut-toujours-agir-si-le-destin-le-permet/)

Les stoïciens voient le monde comme une entité unie, où tout interagit avec tout :

« Le monde lui-même est un seul être vivant, lui aussi accordé à lui-même, cohérent avec lui-même, dans lequel, comme dans une unité systématique et organique, tout a rapport avec tout, tout est dans tout, tout a besoin de tout. » Pierre Hadot, Qu’est-ce que la philosophie antique ? La philosophie comme mode de vie, p.200-201.

Et l’être humain fait partie de ce monde. Ses actions influencent le déroulement du monde. Les stoïciens voyaient l’être humain comme principalement un être doué de sociabilité et de rationalité. Et qui devrait se construire pour aller vers les quatre vertus de courage, de justice, de modération, et de sagesse pratique.

C’est là où l’on peut penser le stoïcisme comme une philosophie qui rend l’écologie possible, même souhaitable car :

L’écologie est une question de justice. Le changement climatique va avoir bien plus d’impact sur des pays pauvres qui ont beaucoup moins contribué au problème que les pays riches. Et même dans ces pays riches, ce sont les populations les plus défavorisées qui vont souffrir le plus du changement climatique. Plus les conditions de vie seront difficiles, plus la question de la justice va se poser. Le stoïcien voit l’être humain comme un être sociable, qui essaye d’agir pour le bien de sa communauté. Continuer à influencer le changement climatique par ses actions, par sa consommation, par son individualisme, alors que l’on sait que les populations les plus pauvres vont en souffrir, c’est ne faire preuve ni de sociabilité ni de justice.

L’écologie est une question de modération. Nous consommons bien plus que nécessaire. Nous achetons des choses qui n’ont absolument aucune nécessité ni utilité. L’être humain alimente toute sa vie moderne grâce aux énergies fossiles (pétrole, gaz, charbon) sans jamais se rassasier et en consommant toujours plus. Nous avons considéré la planète terre comme un énorme pot de glace, bien sucré et gras, que nous avons commencé à manger à la petite cuillère, et nous avons trouvé ça tellement bon qu’on a sorti la grosse cuillère, et de plus en plus grosse. Pour les stoïciens, quelqu’un qui se laisse emporter par les plaisirs est quelqu’un de fragile, car il n’est pas maître de lui-même. N’importe quel vent l’emporte. Il vaut mieux être plus résilient, ne considérer les objets que par rapport à la valeur d’utilité qu’ils vont apporter, et faire preuve de l’ancienne valeur de la mesure (https://www.apprendreavivre.fr/contre-la-demesure-invoquer-la-valeur-ancienne-de-la-mesure/).

L’écologie est une question de courage. D’abord une question de courage face à soi-même, car il en faut pour faire face à l’ampleur du problème devant nous, et pour nous pousser à l’action qui va nous permettre de rendre le monde plus vivable pour tout le monde, et pas se recroquevillé sur soi-même par peur des troubles qui peuvent survenir avec le changement climatique. C’est aussi une question de courage face aux grandes puissances (états et entreprises) de ce monde qui veulent continuer à exploiter toutes les ressources de la terre sans considération pour les populations qui peuvent souffrir des dégâts environnementaux qu’ils génèrent impunément.

– L’écologie est une question de sagesse pratique (phronesis). Car pour agir, il faut faire preuve de discernement. Quoi faire, comment, et à quel moment. Il faut comprendre le fonctionnement des systèmes humains et naturels et leurs interactions pour agir sur les bonnes variables ; il faut comprendre la psychologie humaine et appeler à ce qui peut faire agir les autres ; il faut comprendre la politique et ce qui fait prendre des décisions fortes et nécessaires. Bien que les enjeux climatiques soient des plus graves, la radicalité n’est pas la seule solution et méthode. Sinon, c’est un signe de désespoir. Or la peur sans espoir est un grand moteur de l’égoïsme et de la méfiance de l’autre.

Parler d’écologie et de stoïcisme peut paraître anachronique. Les stoïciens n’ont pas construit leur philosophie avec l’idée d’un changement climatique en œuvre, ni avec le sens de l’écologie. Mais ils ont construit leur philosophie avec l’être humain comme membre d’un cosmos, un ordre sur lequel nous influons et qui influe sur nous. C’est dans ce cadre-là qu’on peut imaginer une position stoïcienne face au changement climatique, et surtout face aux actions humaines, antisociales et déraisonnables, qui manquent de justice, de modération, de courage et de discernement.

Nous ne vivons pas seuls. Nous sommes entourés de nos proches, de nos concitoyens, de tous les êtres humains, mais aussi des animaux, des arbres, des plantes, des fleurs, du soleil et de la lune, et plus encore quand nous portons notre regard au plus lointain. Je trouve que ce monde est très beau, que ce monde est très grand. J’estime que mon rôle d’être humain est de contribuer dans le même sens.

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