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Après 8 ans de stoïcisme

Résumé :
1. Ce qui ne dépend pas de nous, dépend de nous
2. Se rendre invulnérable aux émotions, c’est se déshumaniser
3. Le bonheur n’est pas que dans la vertu
4. Ne plus souffrir, c’est se plonger dans le malheur
5. Le stoïcisme ne guérit pas de la dépression et des troubles psychologiques

Pour commencer

J’ai découvert le stoïcisme il y a 8 ans grâce à Pierre Hadot pour qui je serai éternellement reconnaissant. Il m’a montré que la philosophie n’était pas simplement un ensemble d’idée, mais une pratique, une manière de vivre, ce qui m’a tout de suite attiré. J’ai tout de suite commencé ma pratique du stoïcisme, balbutiant entre les textes originaux et les explications modernes, et progressant jour après jour vers une vie plus philosophique.

Je me suis rendu compte après tout ce temps que ma progression dans le stoïcisme a suivi le célèbre Hype Cycle (cycle d’engouement pour une nouveauté) de Gartner. D’abord, les premiers effets du stoïcisme pour mieux vivre ont été spectaculaires, je me sentais mieux, plus résilient, je subissais moins, j’étais plus solide. Puis j’ai cru que le stoïcisme était la solution (l’unique) pour une meilleure vie, pour une vie plus heureuse, pour une bonne vie (eudaimonia chez les grecs anciens). Je me disais que plus de stoïcisme voulait dire plus de bonheur. Alors j’ai continué dans ma lancée. Mais au fur et à mesure, j’ai buté devant des obstacles dans ma pratique, dans la confrontation avec la vie réelle, avec le monde réel, avec les êtres humains. J’ai commencé à voir des limites dans le stoïcisme que je ne voulais pas voir tant j’aimais cette philosophie. J’ai douté de la pertinence du stoïcisme.

Je me suis intéressé à la psychologie (la science qui étudie le fonctionnement de l’esprit humain), et la neurobiologie (la science qui étudie le fonctionnement du cerveau humain), et je ne pouvais pas continuer dans mes illusions sur le stoïcisme. Le bonheur des stoïciens est limité. La méthode stoïcienne pour atteindre une vie heureuse a beaucoup de failles et de lacunes. Mon esprit de scientifique et d’ingénieur devait bien l’admettre.

Mais je n’ai pas abandonné le stoïcisme, il m’a été et m’est toujours d’une immense aide. J’ai continué ma pratique du stoïcisme, mais avec les failles et les lacunes en tête. Et je saisis maintenant comment tirer au mieux avantage de cette philosophie.

J’aimerais partager ici quelques leçons que j’ai apprises, pour ceux qui progressent dans leur pratique du stoïcisme :

1. Ce qui ne dépend pas de nous, dépend de nous

La distinction entre ce qui dépend de nous et ce qui ne dépend pas de nous énoncée par Épictète (Manuel I.1) est une des formules les plus célèbres du stoïcisme. Épictète dit que notre manière de penser, d’agir, et ce que nous désirons ou pas dépend de nous. Alors que tout le reste (santé, richesse, gloire, etc.) ne dépend pas de nous. Il n’y a que notre usage de ces choses qui dépend de nous, c’est-à-dire ce qu’on peut en faire.

Épictète a raison : on ne peut pas contrôler ce qui nous arrive de l’extérieur, ce qui dépend des autres gens. Mais on peut contrôler notre manière de penser et d’agir face à ces choses. Il vaut mieux changer notre manière de voir les choses (nos représentations), que changer les événements extérieurs qui ne dépendent pas entièrement de nous.

C’est une formule très libératrice, car elle permet de se concentrer sur nous-mêmes et d’essayer de ne pas se laisser renverser par les événements au lieu de se plaindre et de continuer à s’enfoncer dans la misère.

Mais il faut faire gaffe à ce qu’on considère ne dépend pas de nous. Car selon Épictète, c’est quasiment tout. Et lorsqu’on considère que quelque chose ne dépend pas de nous, on a tendance à ne pas s’en occuper. Épictète nous rappelle que même si une chose ne dépend pas de nous, il faut en faire bon usage. Par exemple si notre santé ne dépend pas de nous, il faut quand même prendre soin de notre corps. Mais si une maladie arrive, on n’y peut rien.

Le problème dans cette vision des choses est que notre esprit n’est pas fait pour à la fois agir sur quelque chose car il s’en soucie et en même temps ne pas s’en soucier. Si on prend soin du corps, c’est qu’on considère que notre santé dépend de nous. Car si on prend soin du corps, c’est pour l’espoir de rester en bonne santé. Si ce n’était pas pour ça, on ne prendrai pas soin de notre corps. Notre esprit humain n’est pas fait pour agir sur quelque chose sans aucun espoir de résultat. Si on ne pense pas que notre action a un effet et que le résultat dépend de nous, alors notre esprit n’a aucune motivation pour faire l’action. Alors on ne fera rien, ou sans envie, sans engagement.

C’est là le cœur du problème dans la vision stoïcienne. Le stoïcisme peut nous pousser à ne pas trop nous préoccuper de plein de choses autour de nous, car elles ne dépendent pas de nous. Je pense aux enjeux climatiques par exemple, ou aux décisions politiques de sa ville et de son pays, ou sa propre santé ou celle de ses proches. Et même si Épictète dit qu’il faut quand même faire bon usage de ces choses et agir sur elles, si on pense qu’elles ne dépendent pas de nous, l’âme n’est pas là, toute la volonté n’est pas mobilisée, la motivation n’est pas au maximum, on n’est pas impliqué avec la chose concernée car on considère qu’au final elle ne dépend pas de nous. Or plus on pense que quelque chose dépend de nous, plus on va s’acharner, plus on va y mettre du cœur, plus on va essayer de trouver des solutions. Et ce sont les gens qui s’acharnent le plus qui réussissent le plus ce qu’ils entreprennent. Ce n’est pas ceux qui disent que ça ne dépend pas d’eux.

Si on tient à une cause et qu’on veut avoir un impact sur le monde autour de nous, alors il vaut mieux faire gaffe à la distinction que propose Épictète. Sinon, on risque de vivre timidement, à faire ce qu’on peut et à apprendre à subir.

2. Se rendre invulnérable aux émotions, c’est se déshumaniser

Les stoïciens nous poussent à avoir une meilleur contrôle de nos émotions, surtout à ne pas se laisser entraîner par les passions, c’est-à-dire un excès d’émotions. Et quiconque a ressenti une extrême anxiété ou a vu les effets d’une extrême colère sait à quel point elles peuvent être destructrices et invivables. C’est une bonne chose d’essayer de mieux contrôler ses émotions.

Travailler sur soi pour ne plus réagir inconsciemment quand une émotion surgit en nous face à un événement (de la peur, de la colère) est très utile, et ça marche très bien. On apprend au fur et à mesure à ne pas laisser les émotions transparaître et à réagir avec raison. Le problème est que ça peut aller trop loin tellement ça marche bien. Par exemple, on vous dit quelque chose de désobligeant, vous ressentez de la colère, vous apprenez à la reconnaître et à ne pas réagir avec colère mais à répondre en étant calme, et c’est utile dans beaucoup de situations. Mais au fur et à mesure, très peu de choses provoquent en vous des émotions. Et vous ne ressentez plus de colère quand on vous manque de respect, plus de peur quand quelque chose de dangereux est devant vous, plus de tristesse quand on vous annonce une mauvaise nouvelle.

Et il y a deux problèmes avec ça :

– Les êtres humains communiquent avec les émotions, pas uniquement avec les mots et la raison. Et lorsque vous ne réagissez pas avec les émotions, vous ne dites pas ce qui se passe en vous, car les mots ne suffisent pas. Si quelqu’un vous manque de respect et que vous ne montrez pas de la colère, il risque de continuer à vous manquez de respect même si vous lui dites raisonnablement qu’il ne devrait pas le faire. Si votre conjoint vous dit qu’il est très malheureux et que vous ne montrez pas que ça vous préoccupe émotionnellement (ça s’appelle de la compassion), il va penser que vous n’en avez rien à faire de lui même si vous dites avec des mots clairs et raisonnables que vous êtes préoccupés par ça. Si à l’enterrement d’un de vos parents vous ne ressentez pas une profonde tristesse mais que vous restez équanime, il y a de quoi penser que vous n’aviez ni de cœur ni de gratitude pour vos parents. Les émotions sont des signaux que nous transmettons aux autres. La réponse d’Épictète est qu’il faut agir comme on attend de nous socialement, donc montrer à l’extérieur ce qu’on attend de nous (par exemple de la tristesse), sans le ressentir à l’intérieur. On est presque dans la sournoiserie.

– Les émotions sont une partie essentielle de ce que c’est qu’être humain. Beaucoup de nos meilleurs comme nos pires souvenirs sont liés à des émotions fortes. La réussite dans son travail et le sentiment de compétence est une fierté qui apporte beaucoup de joie. La passion pour la victoire de son pays dans une coupe du monde de foot est dévorante, mais c’est une source de joie et d’émotions très forte. La naissance de son enfant est une explosion incontrôlable d’émotions, à la fois de peur, d’angoisse, de joie et d’amour. La perte d’un parent (ou pire d’un enfant) est une douleur inconsolable, pourtant c’est la preuve de l’intensité de l’amour (une émotion/passion vitale) que nous avions pour eux. Sans les émotions, même sans les passions, la vie humaine n’est pas grand-chose. Sans elles, on risque de vivre une vie ennuyeuse, vide, apathique, triste. L’inverse de ce qu’on est allé cherché dans le stoïcisme. Pourtant le stoïcisme nous pousse à ne plus ressentir ces émotions qui peuvent être fortes. Épictète dit même qu’on ne devrait pas être bouleversé par la mort de sa femme ou de son enfant (Manuel, III). C’est un très mauvais conseil à suivre…

Nous rendre invulnérables c’est nous rendre insensibles. Se passer des émotions, c’est passer à côté de la vie. Il est utile d’apprendre à mieux gérer ses émotions, mais attention à ne pas aller trop loin et à essayer d’enlever toute vie émotionnelle. C’est se déshumaniser.

3. Le bonheur n’est pas que dans la vertu

Une des propositions stoïciennes les plus connues est que le bonheur et la bonne vie ne se trouvent que dans la poursuite des vertus et de l’excellence du caractère. Tant qu’on poursuit la vertu, alors le stoïcisme nous promet qu’on sera heureux. Et quand on tient au stoïcisme, on peut le croire très fermement. On peut se persuader que tout ce qu’il faut faire pour être heureux, c’est d’être vertueux et d’agir vertueusement. Et que si on n’est pas heureux, c’est qu’on n’est pas encore assez vertueux. Comme les pratiquants de la méditation qui vous diront que si vous n’êtes pas heureux grâce à la méditation, c’est qu’il faudrait encore plus méditer. On peut longtemps chercher le bonheur comme ça. Or on peut continuer à agir vertueusement en étant très malheureux.

C’est vrai que la vertu participe à la vie heureuse. Mais dire que la vertu est la seule chose qui pourrait nous rendre heureux, c’est tout simplement faux. Et je ne parlerai pas de la figure stoïcienne du sage qui est heureux même sous la torture grâce à la vertu. Ce n’est pas juste idéaliste, c’est ridicule.

En vérité, il y a beaucoup de choses qui nous rendent heureux. La psychologie a étudié le sujet de manière très concrète et il y a beaucoup de choses qui nous rendent heureux en tant qu’être humains et qui ne sont pas de l’ordre de la vertu. La psychologie positive par exemple étudie tout ce qui contribue au bonheur de l’être humain. Et elle dit que le plaisir nous rend heureux, et n’est pas facultatif. Nous amuser nous rend heureux, alors que ça n’a rien à voir avec la vertu. Le sentiment de compétence nous rend heureux. L’affection envers les autres nous rend heureux. L’amour nous rend heureux, or c’est considéré comme une passion à éviter dans le stoïcisme.

La vertu et l’excellence du caractère sont très importants pour nous en tant qu’être humains, mais le bonheur ne vient pas uniquement de ça. Il y a beaucoup de choses qui nous rendent heureux et que les stoïciens mettent de côté. Ne faisons pas la même erreur qu’eux.

4. Ne plus souffrir, c’est se plonger dans le malheur

Il y a une tendance générale dans la philosophie antique, comme dans le stoïcisme, d’essayer d’éliminer toute la souffrance dans la vie. Même quand on dit qu’on est humain et qu’on ne peut pas enlever la douleur et la maladie, le stoïcisme répond qu’on peut ressentir de la douleur, mais la souffrance psychologique qui l’accompagne dépend de nous et qu’elle n’est pas nécessaire. C’est plutôt utile quand on a une douleur chronique qui nous plombe l’esprit, pour qu’elle ne nous ruine pas la vie. Et au-delà de la douleur, toute personne qui a connu une profonde souffrance sait combien il est précieux d’en sortir.

Oui il y a des souffrances qu’il ne faudrait pas traîner. Mais enlever toute souffrance de sa vie, c’est se conditionner pour vivre dans le malheur et l’apathie. Car beaucoup de notre bonheur vient des obstacles qu’on confronte, des souffrances qu’on endure, de l’anxiété qu’on ressent lorsqu’on essaye de réussir quelque chose. Nombre de nos meilleurs souvenirs viennent des fois où nous nous sommes battus pour quelque chose qu’on voulait et qu’on a réussi. Un homme qui a subi un accident de voiture et à qui on a dit qu’il ne marcherait plus jamais, mais qui se bat physiquement et psychologiquement pendant plusieurs mois pour pouvoir remarcher comme avant, et qui réussit ; les souffrances qu’il a enduré sont des médailles de guerre dont il est fier, car il a réussi ce que d’autres n’ont pas réussi, eux qui n’avaient pas envie de souffrir comme lui.

Les souffrances et les difficultés sont aussi ce qui nous rend plus forts, plus résilients. Vouloir éliminer la souffrance et la difficulté, c’est nous rendre plus faibles et fragiles. Une femme qui, après un événement grave, a passé plusieurs mois en dépression, et qui a réussi à la surmonter. Non seulement elle est fière d’avoir surmonté ces moments difficiles, mais elle est plus forte après cette souffrance, car elle aura les armes pour affronter la prochaine.

Les stoïciens admettent que la voie vers une vie philosophique est dure, que le chemin vers la vertu est difficile, qu’il faut faire face à des désirs puissants qui nous poussent dans la direction opposée, mais qu’il faut persévérer pour atteindre le bonheur dans la bonne vie. Peut-être ne se rendent-ils pas compte que la souffrance qu’ils ressentent dans la voie philosophique, le fait qu’ils surmontent quelque chose de difficile que peu de gens arrivent à surmonter, est ce qui leur procure le sentiment de bonheur. Ce n’est pas la vertu qui les rend heureux, c’est le sentiment d’avoir réussi à être maîtres d’eux-mêmes, de leurs désirs, d’être capable de se restreindre quand ils le décident, d’être capables de se passer de ce qu’ils ne considèrent pas nécessaire, d’avoir gagné leur liberté mentale après un parcours difficile. Épictète lui-même dit qu’il n’y a même pas un pour mille qui est capable de réussir ce parcours !

Le fait de s’être battu et d’avoir vaincu, de s’être dépassé pour atteindre la vertu, et d’avoir dépassé tous les insensés (comme ils les appellent) qui ne veulent même pas essayer car ils n’en sont pas capables, c’est de là que vient le sentiment de bonheur des stoïciens. La vertu n’est peut-être qu’une montagne à gravir comme toute autre montagne. C’est la montagne stoïcienne. Elle ne rend pas plus heureux qu’une autre, pas plus qu’une montagne sportive, qu’une montagne professionnelle, qu’une montagne artistique, ou tout simplement qu’une vraie montagne. Mais les souffrances pour gravir la montagne stoïcienne sont telles que les surmonter justifient davantage de s’y mettre que la vertu qui est supposément à gagner tout au sommet.

5. Le stoïcisme ne guérit pas de la dépression et des troubles psychologiques

Le stoïcisme peut sûrement aider dans la guérison d’une dépression (je peux en témoigner) ou pour surmonter un traumatisme, mais ce n’est plus de son domaine. Peut-être que durant l’antiquité, les écoles philosophiques étaient les aides psychologiques les plus raisonnables (par opposition aux sorciers ou oracles) qu’on pouvait trouver. Mais aujourd’hui, la psychologie, les neurosciences et la psychiatrie sont des disciplines scientifiques qui ont des méthodes beaucoup plus modernes, efficaces et éprouvées sur des millions de personnes afin de dépasser les problèmes psychologiques que nous pouvons affronter dans la vie. Essayer de guérir une dépression grâce au stoïcisme aujourd’hui est comme essayer de mesurer une distance entre deux villes grâce au nombre de pas parcourus.

Le stoïcisme propose dans sa pratique des exercices spirituels afin de s’entraîner à mieux penser et à changer sa manière de voir le monde. Et ils ont une certaine efficacité pour aider à guérir des maux psychologiques, car on peut retrouver des exercices similaires dans des thérapies modernes des plus efficaces que sont les thérapies comportementales et cognitives (TCC). Les exercices spirituels étaient peut-être travaillés et transmis durant l’antiquité de maître à élève, mais aujourd’hui, ce ne sont que des bouts de propositions dans des textes anciens dont on a à peine des fragments. On ne sait pas vraiment comme bien les pratiquer afin d’en tirer au mieux les avantages, et on ne sait même pas dans quel cas et pour quelle « pathologie » ils seraient efficaces. Pour être honnête et rigoureux, il vaut mieux se tourner vers les TCC qui sont inspirés du stoïcisme, mais qui sont beaucoup plus riches, qui sont mieux travaillés, améliorés et éprouvés par des milliers de professionnels autour du monde depuis des dizaines d’années, et qui ont montré des résultats d’efficacité sur des millions de personnes.

Le stoïcisme souffre aussi d’une grande lacune au niveau de l’aide psychologique qu’il apporte. Dans son ensemble, il est uniquement centré sur la pensée et sur le langage. Sans langage, le stoïcisme n’existe pas. La base de ce qu’il propose se trouve dans l’idée qu’il faut changer notre manière de voir les choses, changer nos « représentations ». Et les techniques qu’il propose sont des techniques qui utilisent le langage, qui s’adressent à l’esprit. Il faut utiliser la raison, faire attention à ce qu’on se dit dans la tête, il faut changer son discours sur les choses, préméditer les maux, décomposer les objets en composants physiques. Tout est centré sur la parole pour contrôler l’esprit. or comme a dit dans plusieurs podcasts Andrew Huberman, neurobiologiste à Stanford, il est très difficile de contrôler l’esprit par l’esprit.

Ce n’est pas impossible bien sûr. D’ailleurs une partie des TCC porte sur la cognition, sur ce qu’on se dit dans la tête et qui nous fait du mal, afin de le changer. Il y a des techniques mentales pour mieux contrôler le mental. Mais c’est très difficile en général de contrôler ses pensées, et c’est peu efficace sans l’intervention d’autres outils qui sont plus de l’ordre du corps et du physique, de l’action et du mouvement. Mieux penser ne guérit pas très bien de mauvaises pensées, il faut agir et se mettre en mouvement.

Il n’y a pas de pratique physique dans le stoïcisme. Tout est de l’ordre du mental. Or penser tout le temps est lui-même une source d’angoisse, même si on essaye de mieux penser. Avoir tout le temps une voix qui parle dans sa tête, c’est une source certaine d’angoisses. Il vaut mieux être concentré sur quelque chose d’autre que ses pensées et être dans l’action.

Peut-être que pour améliorer le stoïcisme, il faudrait s’inspirer des TCC et de la psychologie. Peut-être qu’il faudrait incorporer des pratiques sportives dans le stoïcisme contemporain. Mais le stoïcisme antique, tel qu’il est, n’est pas à recommander pour soigner des problèmes psychologiques. Laissons cela aux professionnels, aux scientifiques, à tous ceux qui ont beaucoup plus d’expertise et d’expérience sur le sujet, plutôt que de consulter des stoïciens, qui sont certes de fins connaisseurs de la psychologie humaine (comme beaucoup d’écrivains à travers les siècles), mais qui ne sont pas psychologues et encore moins psychiatres.

Le stoïcisme est excellent dans autre chose : pour changer de vie et de valeurs, pour s’améliorer en tant que personne et chercher l’excellence du caractère.

Conclusion

Le stoïcisme m’a été d’une très grande aide pendant des années, et il continue à l’être. Grâce à lui, j’ai appris à être plus résilient, plus courageux, plus exigent avec moi-même, plus attentif à ce qui se passe en moi, à ce que je veux et comment j’agis. Et je vais poursuivre le chemin philosophique, car ce qui m’a attiré dans le stoïcisme dès ma lecture de Pierre Hadot est la vie philosophique comme je l’ai exprimé dans cet article : la vie philosophique, ou la mort.

Le chemin continue afin de mieux se connaître soi-même, afin de vivre en aspirant à plus de sagesse, et de vivre avec lucidité, attention et intention en se rappelant qu’on est mortel.

Mais sur ce chemin, dans notre pratique philosophique, nous ne sommes pas forcés de prendre le stoïcisme dans son ensemble et appliquer à la lettre ce qu’ils ont proposé. D’ailleurs, ça serait absurde. Car ce serait nier les 2000 ans qui nous séparent des derniers stoïciens, et toutes les avancés de l’humanité depuis. Pour mieux avancer sur le chemin philosophique, on peut faire usage de tous les nouveaux outils que la science a mis au point et de toutes les connaissances en psychologie et en neurosciences.

Les stoïciens peuvent nous inspirer pour une vivre une meilleure vie. Mais comme a dit Sénèque lui-même, ceux qui nous ont précédé sont nos guides, pas nos maîtres. Si on trouve un meilleur chemin, on prendra celui-ci (Lettre à Lucilius 33). Après 2000 ans et avec toutes les connaissances que nous avons sur le monde aujourd’hui, il n’y a aucun doute qu’on peut faire mieux.

Le but final n’est pas d’être stoïcien, ce n’est même pas d’être heureux – entre nous, le bonheur est surfait. Le but est d’être un meilleur être humain, et que notre vie ne soit pas d’abord heureuse mais d’abord belle et forte. Les stoïciens nous guident vers la vertu car ils ont l’ambition pour nous d’être meilleurs que ce que nous sommes, ils disent que nous pouvons prétendre à l’excellence, à une meilleure connaissance de qui nous sommes et ce que nous pouvons apporter de plus particulier au monde. J’y crois, et je le veux. C’est pour cela que le message des stoïciens restera éternel.

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