« Nous sommes plus souvent effrayés que blessés; et nous souffrons plus de notre imagination que de la réalité. » Sénèque, Lettre XIII
Combien de fois l’angoisse et la peur nous prennent pour un avenir qui ne se réalise pas? Combien de fois sommes-nous malheureux simplement par anticipation? Nous imaginons le pire et nous en sommes terrorisés, et quand l’avenir arrive, le malheur qui vient avec lui est bien moins douloureux que celui que nous avons crée nous-mêmes avant l’heure. Nous nous pensons condamnés au malheur alors nous l’inventons pour justifier nos croyances. Nous sommes plus dangereux pour nous-mêmes que l’espace ou le temps, nous nous punissons nous-mêmes comme pour dire aux autres de ne pas nous blesser car nous le sommes déjà assez. Nous croyons qu’en anticipant notre malheur et en vivant dans la tristesse, ce que nous craignons dans l’avenir sera plus clément avec nous. Mais que savons-nous de l’avenir? Combien de fois nous pensions que tel scénario sera joué ou que tel autre est plus probable, mais c’est finalement un troisième qui se déroule et que nous n’avons jamais prévu. Les malheurs que nous imaginons peuvent bien s’envoler et n’avoir jamais lieu, mais nous les souffrons quand même. Combien de fois avons-nous été malheureux pour de vraies raisons? Pour la perte de la famille ou d’un ami? Pour la perte de l’amour quand nous l’avons gagné? Nos malheurs inventés sont bien plus nombreux que les vrais.
Nous sabotons notre présent pour un avenir dont nous ne savons pas grand chose. Quand nous nous attardons sur le présent, nous voyons bien que notre santé est à peu près bonne, que notre situation est correcte, que notre environnement ne contient aucun danger, et au lieu de nous en réjouir, d’avoir de la gratitude pour tout ce que nous avons, nous inventons de quoi nous chagriner dans l’avenir, et quand l’avenir est là, qu’il contienne difficultés ou pas, nous commençons à anticiper encore d’autres malheurs. Notre vie est bien moins insupportable que nous voulons le croire. Nous ne savons pas tout simplement pas être heureux. Et comme beaucoup, nous ne le serons jamais si nous ne cessons d’inventer des malheurs qui ne sont pas encore là. Tant qu’ils ne sont pas là, nous n’avons pas à les craindre, et quand ils seront là, nous les affrontrons.
Nous avons peur de ce que nous pensons de l’événement qui arrive, ou de ce qu’on nous a dit sur lui, non de l’événement lui-même que nous n’avons pas encore connu. Laissons le présent libre de toutes nos angoisses imaginaires. Donnons de la valeur à notre vie et arrêtons de la malmener nous-mêmes.