« Parmi les choses qui existent, certaines dépendent de nous, d’autres non. De nous dépendent la pensée, l’impulsion, le désir, l’aversion, bref tout ce en quoi c’est nous qui agissons ; ne dépendent pas de nous le corps, l’argent, la réputation, les charges publiques, tout ce en quoi ce n’est pas nous qui agissons. » Épictète, Manuel, I.
Un des principes de base du stoïcisme est de faire la différence entre ce qui dépend de nous et ce qui ne dépend pas de nous. Cela a l’air d’être banal, pas très avancée comme réflexion, car elle est très compréhensible… Mais les stoïciens n’ont pas le temps de nous séduire avec des mots compliqués, ils veulent nous apprendre à bien vivre, et ils nous disent clairement comment faire.
Ce qui dépend de nous est en notre contrôle et nous devons agir sur lui. En revanche nous ne contrôlons pas ce qui ne dépend pas de nous et il ne doit pas nous angoisser ni nous empêcher d’agir sur ce qui dépend de nous. En faisant cette distinction et en agissant en conséquence, nous gagnons en liberté, nous réduisons notre angoisse, et nous avançons vers une meilleure vie, plus équilibrée et plus heureuse.
Nous avons tous l’impression que les stoïciens ne nous apprennent rien quand ils nous disent de faire cette distinction, mais en vérité qui la fait vraiment ? Combien de fois est-ce que nous voyons des hommes en colère devant un simple et minuscule feu rouge ? Combien de fois est-ce que nous-mêmes avons été irrités et avons ruminé toute la journée parce qu’une personne, qui n’a aucune importance pour nous, nous a dit quelque chose de désagréable et peut-être de faux, ou nous a méprisé ? Combien de gens nous voyons complètement désemparés et qui se retrouvent quasiment paralysés lorsqu’ils se pensent malades ? Nous pensons connaître la distinction entre ce qui dépend de nous et ce qui n’en dépend pas, mais quand nous agissons, nous agissons comme des ignorants.
Donc qu’est-ce qui dépend de nous ? Notre manière de juger ce qui nous arrive, nos pensées, notre discours intérieur, notre volonté, nos désirs.
Qu’est-ce qui ne dépend pas de nous ? Les richesses que l’on reçoit, ce que les autres pensent de nous, les maladies que nous pouvons attraper, les catastrophes naturelles, etc.
Ce qui dépend de nous est tout ce que nous pouvons penser, et tout ce sur quoi nous pouvons agir. C’est sur ces choses qu’il nous faudrait nous concentrer. C’est à travers nos actions que nous pouvons transformer notre vie et la diriger vers de meilleurs jours.
Ce qui ne dépend pas de nous est ce qui est extérieur à nous, les actions des autres et ce que le sort décide. Si c’est quelque chose de mauvais qui nous affecte, nous n’y pouvons rien, ce n’est pas nous qui l’avons commandé, alors il faudrait arrêter de se lamenter, d’angoisser, de maudire, et penser plutôt à ce que nous pouvons faire dans le présent pour avancer et s’en sortir.
Lorsqu’Épictète dit que le corps ne dépend pas de nous, ce n’est pas que nous ne devons pas nous préoccuper de notre santé. C’est qu’une maladie peut venir sans nous consulter et nous rendre faible et fragile. Est-ce que cela veut dire que ce n’est pas la peine que je prenne soin de mon corps puisque de toute façon une maladie grave peut m’attaquer et me détruire ? Non, c’est de l’inconscience. Prendre soin de notre corps dépend de nous. Faire attention à ce que nous mangeons dépend de nous. Faire de l’exercice physique pour nous rendre plus solide et évacuer l’anxiété dépend de nous aussi. Prévenir la maladie, essayer d’avoir un corps sain, ce sont des choses sur lesquelles nous pouvons agir et nous devons agir. Mais nous pouvons toujours tomber malade. Et quand nous tombons malade, car cela ne dépend pas toujours de nous (peut-être qu’il y a un virus qui circule, peut-être que notre génétique nous défavorise d’une certaine manière, etc.), nous devons agir pour nous soigner, pour retrouver autant de forces que possible, et continuer à agir sur tout le reste qui dépend de nous, car la vie ne s’arrête pas quand nous sommes malade. C’est une conviction de l’esprit, donc qui dépend de nous aussi, alors nous pouvons avoir la volonté d’agir et de continuer à bien vivre malgré la maladie.
Si nous ne faisons pas la distinction entre ce qui dépend de nous et ce qui n’en dépend pas, nous risquons de continuer à vivre dans la colère, dans la peur, dans l’anxiété, dans le trouble permanent, dans la tension, dans le malheur. Ce n’est pas une vie. En nous focalisant sur ce qui dépend de nous, nous pouvons nous améliorer, devenir de meilleures personnes, être utiles, être davantage capables d’affronter les difficultés que propose l’existence.
Les stoïciens ne nous demandent pas de contempler leurs pensées, ils nous demandent de les vivre. Une personne qui ne s’exerce pas au stoïcisme va dire qu’elle sait que telle chose ne dépend pas d’elle mais elle va quand même y penser obsessionnellement. Une personne qui s’exerce au stoïcisme va savoir la même chose, mais quand elle verra que ses pensées sont occupées par ce qui ne dépend pas d’elle, elle va les rediriger vers ce qui en dépend et continuer à agir en bien. Elle va rediriger ses pensées à chaque fois qu’elle les voit occupées par ce qui n’est pas en son contrôle, et ainsi elle pourra avancer vers ce qu’elle veut.
Le stoïcisme est une pratique qui peut nous aider à beaucoup mieux vivre, et la distinction entre ce qui dépend de nous et ce qui n’en dépend pas est un exercice de base. Nous pouvons le pratiquer quasiment à tout instant. Il ne dépend que de nous de le faire.