« Si on livrait ton corps au premier venu, tu serais indigné; et pourtant tu livres à n’importe qui ton jugement, avec pouvoir d’y jeter trouble et confusion pour peu qu’on t’injurie, et tu n’as pas honte. » Épictète, Manuel, XXVIII.
Un des passages du Manuel qui me parle le plus. Mon âme répond à cette observation d’Épictète avec la même honte qu’il désigne à la fin. Je ne sais pas pourquoi, c’est sûrement une question de tempérament, et qui n’a rien à voir avec le stoïcisme, mais quand je me rends compte de toutes les fois où je suis tombé dans ce type de situations, je sens une colère monter en moi, une colère qui naît de la honte de m’être laissé avoir comme si je n’avais pas d’âme ou d’être dans l’univers.
Les émotions peuvent nous emmener loin. La peur, l’anticipation de l’avenir, l’imagination qui dérive, la crainte de perdre une chose à laquelle on donne de la valeur. Trop de valeur… Nous devenons vite vulnérables, et la vulnérabilité se voit. Puis c’est comme mener une bataille dans un champ ouvert et exposé, au lieu d’être derrière les fortifications de sa citadelle. Se laisser emporter par nos émotions n’est pas bénéfique. Et quand il l’est, c’est davantage dû au hasard des circonstances que grâce à l’efficacité de l’excès. Se laisser manipuler par les émotions des autres, par leurs pensées, par leurs désirs, par leur instabilité et leur manque de maîtrise d’eux-mêmes, c’est être soi-même instable, c’est être inconscient de soi.
Le stoïcisme permet de remédier à cela. Il nous dit qu’il y a une chose qui dépend de nous et qu’il ne faut pas négliger : c’est notre manière d’agir et de réagir. On a le choix de ne pas laisser les inquiétudes des autres mettre en péril notre sérénité, de ne pas laisser l’incertitude consommer notre liberté, et de ne pas laisser la peur toucher à notre dignité. Par erreur, il se peut qu’on n’y arrive pas, qu’on se sente désorienté, prisonnier et soumis. Mais il s’agit plus souvent de notre manière de voir les événements que des événements eux-mêmes. Nous sommes toujours capables de sérénité, toujours maîtres de notre liberté, et toujours en possession de notre dignité, quoi qu’il arrive. Il faut se le rappeler. Quoi qu’il arrive.