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Le bonheur est pour demain

« Le plus grand dommage fait à la vie, c’est l’ajournement : il nous arrache les jours l’un après l’autre ; il nous dérobe le présent par la promesse de l’avenir. Le plus grand obstacle à la vie est l’attente, qui dépend du lendemain et perd le jour présent. » Sénèque, la brièveté de la vie.

Une des plus grandes erreurs que l’on peut faire dans toute l’histoire de notre vie, c’est de se dire : « je serai heureux quand… » Plus tard est parfois plus rassurant que tout de suite, parce que nous voyons ce qu’il y a tout de suite devant nous, et ce n’est pas satisfaisant, ce n’est pas assez, ce n’est pas suffisant pour nous rendre heureux. Mais plus tard, c’est toujours possible de le rêver et d’y mettre tout ce qui nous donne envie. L’avenir a l’avantage de ne pas être atteint par cette chose difficile et moche qu’on appelle la réalité.

L’imagination est un crayon avec lequel on dessine l’avenir dans notre esprit pour remplacer notre réalité. Les dessins peuvent être colorés et beaux, et là nous sommes pris dans le rêve. Mais les dessins peuvent être aussi noirs et effrayants, et là c’est le cauchemar.

Ceux qui dessinent des rêves substituent la réalité par le rêve pour se rassurer et se dire que le bonheur est bientôt possible, qu’il suffit d’attendre, ou que ce sera quand telle ou telle chose arrivera. Ils ont toujours des plans, ils n’arrêtent pas de se projeter, tout est toujours dans l’avenir, ils sont fiers aujourd’hui de ce qu’ils auront accomplis plus tard même s’ils ne font pas forcément grand-chose aujourd’hui pour plus tard, ils ne font que s’organiser et finalement comme dit Sénèque : « dépensent la vie à organiser la vie. »

Ceux qui dessinent des cauchemars sont les anxieux, les catastrophistes, ceux qui (comme moi) imaginent le pire scénario à chaque scène avant même de connaître toute l’histoire. Ils rendent leur vie quotidienne un enfer car ils y mettent les angoisses d’aujourd’hui et de demain. Ils ne se suffisent pas des difficultés de tous les jours, il faut aussi ajouter un poids en plus pour être un peu plus écrasé durant leur marche.

Le problème dans l’imagination et la projection, c’est que le sentiment que l’on imagine dans l’avenir est ramené dans le présent. Ceux qui rêvent d’un bel avenir ramènent un bonheur qui n’est jamais dans le présent, et ceux qui cauchemardent ramènent un malheur qui n’est pas encore dans le présent, et n’y sera peut-être pas. On ne vit jamais dans notre stricte réalité. On laisse la vie passer au profit d’un avenir que l’on ne maîtrise pas totalement.

Le présent est mieux, il est concret, il est réel. Il n’est jamais aussi parfait que l’avenir, mais c’est lui que l’on regrette quand il n’est plus là. C’est lorsque le présent passe que l’on se dit : « j’aurais dû… » Ceux qui pensent que leur bonheur est dans l’avenir ratent le bonheur qui est devant eux. Et il suffit de voir autour de soi tout ce qui est bon pour s’en rendre compte. Une des malédictions de l’humanité est qu’elle ne voit que ce qui lui manque, et qu’elle ne se rend pas compte de ce qu’elle a déjà qu’elle prend pour acquis. Et c’est quand on le perd qu’on se rend compte de son importance.

C’est parce qu’on ne fait pas assez preuve de gratitude pour ce qu’on a déjà. C’est parce qu’on ne sait pas faire preuve de gratitude. On ne nous l’apprend plus. On l’a même désappris parce qu’on ne cesse de nous vendre notre bonheur dans les objets et qu’on ne cesse d’afficher les vies idéalisées de tout le monde dans les réseaux sociaux.

Mais nous n’avons pas besoin de ça pour être heureux. Le bonheur n’est pas pour plus tard, il est pour tout de suite. Et il est urgent de récupérer nos vies.

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