Lettre 22
« Voilà ce à quoi les hommes ne renoncent qu’à contrecoeur : ils aiment le salaire de leurs misères, qu’elles-mêmes ils maudissent. »
« Oui, Lucilius, la servitude ne retient que peu d’hommes ; il en est plus qui retiennent la servitude. »
« Nul n’a rien d’achevé, car nous avons toujours remis nos affaire à l’avenir. »
« Tout le monde est maître de bien vivre ; nul, de vivre longtemps. »
Livre 23
« Quant à ces hommes qui s’élancent de desseins en desseins, ou qui même, sans élan, s’y laissent pousser par le hasard, comment trouveraient-ils, eux si hésitants, si flottants, aucune certitude, aucun point d’appui ? »
« Certains ont cessé de vivre avant d’avoir commencé. »
Livre 24
« Quelle nécessité, à vrai dire, d’appeler le mal, d’anticiper ses effets, qui se feront sentir toujours assez tôt, et de ruiner le présent par la crainte du futur ? »
« Veux-tu dépouiller toute inquiétude ? Quelque événement que tu appréhendes, mets-toi dans l’esprit qu’il se produira immanquablement. Quel que soit le mal, prends-en la mesure dans ta pensée, établis là-dessus le bilan de tes craintes : tu comprendras cetainement que ce qui te fait peur est sans importance ou sans durée. »
« Qu’est-ce qu’on a de plus à redouter que le bûcher, que la mort ? »
« Disons-nous toujours : ce qui peut arriver doit arriver. »
« Deviendrai-je pauvre ? Je serai en nombreuse compagnie. Sera-ce l’exil ? Je me persuaderai que je suis né au lieu où je devrai me rendre. On m’enchaînera ? Eh quoi ! suis-je à présent libre d’entraves ? La nature m’a rivé au corps, bloc pesant. Je mourrai ? Tu veux dire : je ne serai plus sujet au risque des maladies, au risque des chaînes, au risque de la mort. »
« Oui, chaque jour nous retire une portion de notre vie : alors même que l’être est en croissance, la somme de ses jours décroît. Nous avons laissé derrière nous le bas-âge, l’enfance, l’adolescence. Tout le temps écoulé jusqu’à hier est perdu pour nous ; ce jour même que nous vivons est partagé entre la vie et la mort. »
« Telle est l’imprévoyance ou plutôt la démence des hommes ; plusieurs, par peur de la mort, sont poussés à mourir. »
« N’aimons pas trop, ne haïssons pas trop la vie. »
« Dans la pensée de bien des gens, vivre n’est pas douloureux ; c’est oiseux. »
Lettre 25
« Rentrons sous la loi de la nature : la richesse est sous notre main. La satisfaction de nos essentiels besoins est pour rien ou à bon marché. Du pain, de l’eau, voilà ce que la nature demande. Pour ces choses personne n’est pauvre. »
« N’en doute pas, il est utile de s’être imposé un surveillant, d’avoir quelqu’un vers qui on tourne la vue, que l’on juge témoin de ses pensées. »
« Pour moi, je me contente même que tu fasses tout ce que tu feras comme si tu étais regardé de quelqu’un. La solitude ne nous inspire que le mal. »
Lettre 26
« C’est précisément pour cela que s’exercer est nécessaire : il faut étudier sans cesse ce que, faute d’expérience, on n’est pas certain de bien savoir. »
Lettre 27
« La vertu seule garantit une joie constante et sûre. Si quelque obstacle survient, il en est comme des nuages qui glissent au bas du ciel sans jamais éclipser le jour. »
« La santé mentale, elle, ne peut pas se prêter et n’est pas à vendre. Du reste, je crois, même si elle était en vente, personne n’en voudrait. C’est la folie qu’on achète tous les jours. »
Lettre 28
« Je ne suis pas avec ceux qui se précipitent en plein flot et qui, trouvant du prix à une vie tourmentée, prennent bravement chaque jour les difficultés d’ordre pratique au collet. Le sage supportera ce mode d’existence ; il ne le choisira pas ; il préférera l’état de paix à l’état de lutte. »
« Prends-toi donc sur le fait, autant que tu le pourras ; informe contre toi-même. Sois d’abord ton accusateur, puis ton juge ; ne te fais ton avocat qu’en dernier lieu. »
Lettre 29
« Il n’y a point d’art, là où l’on n’arrive aux effets que par accident. La sagesse est un art : elle doit donc viser un but précis, choisir des sujets perfectibles, laisser ceux dont le cas lui est apparu comme désespéré, sans toutefois les abandonner trop vite, sans négliger, alors même qu’elle désespère, les remèdes suprêmes. »