Lettre 42
« Chez beaucoup, l’impuissance sert à cacher des vices qui ne reculeront devant rien, lorsqu’ils auront pu savourer leur neuve puissance; non moins que les vices déjà mis à nu par la réussite: il ne leur manquait, pour dévoiler leur perversité, que les moyens. »
« Ainsi donc, ces objets que nous recherchons, vers lesquels nous tirons à grand travail, la chose que nous devrions saisir du regard, c’est qu’ils ne contiennent aucun avantage, ou plus d’inconvénients que d’avantages. Ceci est superflu; cela ne vaut pas tant. Mais notre vue ne plonge pas à fond, et il nous semble qu’on a gratuitement ce qui coûte bien cher. »
« « Je vais perdre ceci. » Et alors ? Ce n’était qu’un supplément inattendu: tu t’en passeras comme tu t’en étais passé auparavant. L’as-tu seulement possédé longtemps ? Tu le perds après satiété. Il ne t’est pas longtemps demeuré ? Tu le perds avant l’accoutumance. « Tu auras moins d’argent. » Eh bien! moins de tracas. « Ton crédit diminuera. » Eh bien l’envie aussi. Fais le tour de ces faux biens qui nous entraînent à la folie, que nous perdons avec tant de larmes: tu sauras que ce n’est pas le dommage qui afflige, mais l’idée d’un dommage; ces disparitions-là, on ne les sent pas, on les rumine. Qui se possède n’a rien perdu; mais combien sont-ils qui ont le bonheur de se posséder ? »
Lettre 44
« Alors que le premier et le dernier mot du bonheur, c’est une sécurité entière, une inébranlable confiance en ses promesses, ils se créent des raisons de tourment, s’en font un bagage et, tout le long de l’insidieux chemin de la vie, ils le portent et le traînent. C’est ainsi que de la réalisation de ce bonheur qu’ils veulent atteindre ils s’éloignent toujours davantage. »
Lettre 45
« Ce n’est pas le nombre de tes livres, mais leur qualité qui importe : la lecture à programme défini profite ; diversifiée, elle n’est qu’un amusement. »
« L’objet où tu reporteras de préférence tes soins ne sera-t-il pas de nous montrer que la quête du superflu entraîne toujours grande dépende de temps, et que bon nombre d’hommes ont traversé la vie en se cherchant partout des moyens de vivre (l’argent) ? Passe en revue les individus ; considère la collectivité : pas un qui pour vivre n’ait l’œil fixé sur le lendemain. »
Lettre 48
« Point de succès pour soi seul, point de malheur non plus : on vit en communauté. Nul, au reste, ne peut couler ses jours dans le bonheur qui ne considère que soi, qui tourne toutes choses à sa propre commodité. Vis pour autrui, si tu veux vivre pour toi. »
Lettre 49
« Je m’indigne par conséquent d’autant plus de voir que de ce temps, qui, même bien attentivement ménagé, ne suffirait déjà pas au nécessaire, certains gaspillent la meilleure part pour du superflu. »
« Enseigne-moi que le bien de la vie n’est pas dans la durée de celle-ci, mais dans son emploi ; qu’il peut advenir, que très fréquemment il advient qu’ayant vécu longtemps, on n’a guère vécu. »
« La nature nous a crées éducables ; nous tenons d’elle une raison imparfaite, mais perfectible. »
Lettre 50
« Nul ne comprend qu’il est avare, qu’il est cupide. Les aveugles, tout au moins, demandent un guide; nous autres, nous errons sans guide et nous disons: « Moi, je ne suis pas ambitieux: je mène la vie de tout le monde à Rome. Je n’ai pas personnellement le goût du faste: le train de la ville oblige à la dépense. Ce n’est point ma faut, si je suis en colère, si je n’ai pas encore réglé ma vie: c’est le fait de la jeunesse. » »
« La sagesse n’est jamais venue à personne avant la déraison. Nous avons tous ce handicap. Apprendre les vertus, c’est désapprendre les vices. »
Lettre 51
« Le devoir qui s’impose, c’est de fuir aussi loin qu’on le peut devant les excitants du vice. Endurcissons notre âme; entraînons-la bien à l’écart des blandices du plaisir. »
« Ne permettons pas à l’âme de s’amollir: si je cède au plaisir, il faut que je cède à la douleur, il faut que je cède à la fatigue, il faut que je cède à la pauvreté; l’ambition, la colère élèveront les mêmes prétentions sur moi: je me verrai tiraillé, déchiré entre toutes ces passions. La liberté, voilà l’enjeu, le prix qui doit payer nos peines. »
« Rejette de ton cœur tous les sentiments mauvais qui le déchirent. S’ils ne pouvaient autrement être extirpés, mieux vaudrait t’arracher le cœur du même coup. Avant tout, chasse les plaisirs; tiens-les pour tes pires ennemis: comme ces bandits que les égyptiens appellent philètes, s’ils nous embrassent, c’est pour nous étouffer. »
Lettre 52
« N’aie pas de mépris même pour l’homme qui ne peut obtenir son salut que d’une assistance étrangère: c’est un grand point déjà de vouloir être sauvé. »
« Notre route est semée d’obstacles. Ainsi donc, combattons, appelons à la rescousse. « Qui, dis-tu, appellerai-je? » Celui ou celui-là. Remonte pour ta part jusqu’au anciens, qui sont, eux, de loisir. L’aide peut venir non seulement des vivants, mais de ceux qui ne sont plus. »