Lettre 30 – La mort
« Malgré tout, notre cher Bassus conserve sa belle humeur. C’est là ce que garantit la philosophie : un homme gai en face de la mort : quel que soit son état physique, courageux, content et, dans le renoncement de ses organes, ne se renonçant pas. Un bon pilote tient encore la mer avec sa voilure en morceaux ; si son gréement est perdu, il radoube la carcasse pour achever sa course. »
« La mort n’est pas plus pénible pendant qu’elle se produit qu’après qu’elle a eu lieu. Redouter quelque chose qui n’existera pas pour nous est aussi absurde que de redouter un mal qu’on ne sentira pas. Comment pourrait-on s’imaginer que nous sentirons cette même mort qui nous rend insensibles ? »
« Refuser de mourir, c’est ne pas avoir accepté de vivre. Nous avons reçu la vie à charge de mourir ; la mort est le terme où l’on va. »
« Eh quoi ! n’est-ce pas eu souvent le spectacle d’un homme se donnant la mort ? Oui, j’en ai vu, mais je fais plus d’état de ceux qui vont vers la mort sans haine de la vie, qui la laissent entrer, mais ne la tirent pas à eux. »
« Attachons-nous à voir clair dans les motifs de nos craintes : nous découvrirons un écart entre ce qu’ils sont et ce qu’ils paraissent. »
« Je finirai donc ; pour toi cependant, pense à la mort toujours pour ne la craindre jamais. »
Lettre 31
« Il n’est qu’un bien, source et condition fondamentale du bonheur dans la vie : la confiance en ses propres moyens. »
« Un travail futile et superflu, qui ne procède que de motifs peu nobles, n’est donc pas chose mauvaise ? Eh ! Non, pas plus que le travail consacré à de nobles objets, parce qu’il représente précisément la patience de l’âme qui s’entraîne aux âpres et difficiles entreprises, en se disant : Pourquoi languir ? On ne craint pas la sueur, quand on est un homme. »
Lettre 32
« Oh ! quand verras-tu ce temps où tu comprendras que le temps ne t’importe en rien, où tu seras tranquille, paisible, indifférent au lendemain, pleinement rassasié de toi-même ! »
« Ce que je te souhaite, c’est la libre disposition de toi-même, c’est que ton âme, harassée par le vagabondage de sa pensée, arrive à se rasseoir et à se fixer, qu’elle trouve en soi sa satisfaction. »
Lettre 33
« On se grave, en effet, plus facilement dans l’esprit les préceptes isolés, concis et montés en formules comme des vers. »
« Sois un chef; prononce des paroles qui puissent se graver dans les mémoires. Produis quelque chose de ton fonds. Pauvres hommes, sans autorité, commentateurs éternels tapis à l’ombre de grands noms! »
Lettre 34
« Il n’y a pas de rectitude dans l’âme de l’homme dont les actes sont en discordance. »
Lettre 35
« Le changement de volonté révèle une âme à la dérive, émergeant tantôt ici tantôt là, au gré du vent. Il n’y a pas de flottement pour ce qui est fixe et bien assis. »
Lettre 36
« Ne te laisse donc pas persuader par ces gens que celui-là est heureux qui se voit assiégé de tout le monde. Ils s’empressent autour de lui comme autour du réservoir que l’on épuise en troublant le fond. »
« Il n’est pas besoin de leçon pour, s’il le faut, accepter de coucher sur un lit de roses. Mais on s’endurcit à ne pas laisser fléchir sa foi sous les tourments, à passer la nuit, s’il le faut, à rester debout sur le rempart, serait-on blessé, et ne pas prendre appui sur son javelot, car on se laisse souvent gagner par le sommeil, dès qu’on a un appui. »
Lettre 37
« Toi, tu ne jetteras pas tes armes, tu ne demanderas pas la vie, ton devoir est de mourir debout, invaincu. Que sert, au surplus, de gagner quelques jours, quelques années ? Nous venons au monde sans espoir de grâce. »
« Il y a honte à se laisser entraîner au lieu d’aller son pas, et, soudainement plongé dans le tourbillon des événements, à demander avec stupeur : Comment, moi, suis-je ici ? »
Lettre 38
« Oui, il en est des préceptes comme de la graine semée : ils produisent beaucoup tout en ne tenant qu’une place réduite. »
Lettre 39
« Le nécessaire a pour mesure l’utile. Mais la superfluité, à quelle règle la réduis-tu ? Et c’est ainsi qu’ils se plongent dans les plaisirs, s’en font une habitude et ne peuvent plus s’en passer, extrêmement misérables pour en être arrivés à un point où ce qui leur avait été du superflu leur est devenu le nécessaire. »
Lettre 40
« Fougue oratoire impétueuse et débordante sied mieux à un conférencier ambulant qu’à quelqu’un qui traite une oeuvre grande et sérieuse, et qui instruit. »
Lettre 41
« Son propre (l’homme), demandes-tu, qu’en est-il? L’âme et, dans l’âme, une raison parfaite; l’homme est un être doué de raison. Son bien est donc au point d’achèvement le plus haut, s’il a fait pleinement ce pour quoi il vient au monde. Mais qu’est-ce que cette raison exige de lui? Une chose très facile: vivre selon la nature. Ce qui en fait chose difficile, c’est une commune démence: on se pousse hors du droit chemin, dans le vice. Or comment pourrait-on rappeler sur la voie salutaire de la santé des gens que personne ne retient et que la foule bouscule? »