« Nous ne désirons pas une chose parce que nous la jugeons bonne, mais nous la jugeons bonne parce que nous la désirons. » Spinoza.
Ce n’est jamais la Raison qui nous pousse vers quelque chose. Ce n’est pas parce que nous avons passé des heures à réfléchir que nous avons pris une bonne décision. Tant de fois ce n’est que pour justifier notre décision que nous réfléchissons longtemps, ou pour justifier notre peur, ou pour justifier notre colère, ou pour justifier notre amour. Nous attibuons à l’objet désiré toutes les qualités que nous pensons nous ont mené à le désirer, pour nous persuader et persuader les autres que c’est une bonne chose. Mais nous l’avons désiré avant de commencer à penser aux qualités.
Ce qui nous pousse à quoi que ce soit est un désir, une pulsion ou une impulsion dont nous ne maîtrisons pas l’apparition, mais que nous commençons à rationnaliser pour nous l’approprier. Quand nous avons trouvé suffisamment de bonnes raisons de désirer, nous croyons que nous avons décidé de l’apparition de ce désir. Or c’est faux, c’est parce que nous désirons la chose qu’elle nous paraît bonne.
Une tarte au chocolat n’est pas bonne en soi, elle n’est bonne que lorsque nous désirons manger. Au bout de la troisième tarte, quand nous avons envie de tout recracher, nous n’avons plus le désir de manger, alors nous ne trouvons plus la tarte bonne, au contraire… jusqu’à ce que la digestion soit terminée et que l’appétit revienne.
Nous entrons chez un ami qui vient d’acheter une grande maison sur plusieurs centaines de mètres carrés et plusieurs étages, et quand nous en sortons nous nous disons qu’il serait bien si nous avions la même maison, encore mieux si elle était plus grande, et nous nous disons que l’espace pourrait servir pour les enfants que nous pourrions encore avoir ou pour les animaux que nous comptions adopter dans un futur indéterminé, et que finalement ce serait une bonne idée d’envisager un tel investissement. Les jours passent et nous oublions cette idée de grande maison, jusqu’à ce que nous repassions chez ce même ami quelque temps plus tard, et les raisons de désirer la maison nous réapparaissent. Les raisons n’étaient pas assez fortes pour créer le désir, mais le désir était assez fort pour créer les raisons.
C’est le désir qui dicte notre conduite. Ce n’est pas la raison. Or est-ce que cela veut dire que nous sommes condamnés à suivre nos pulsions ? Même les plus mauvaises ? Même celles qui nous font le plus de mal ? Nous sommes condamnés à subir sans moyen de combattre ? Non. Il y a un moyen de modérer ses désirs, de les diriger, de les dompter, c’est justement au travers de la raison. Elle n’est pas inutile. Sauf qu’elle ne permettra pas de supprimer un désir, en revanche elle permettra de créer un désir plus fort que celui qui naît par l’impulsion. Par exemple nous avons un premier désir de manger des tonnes de sucre, mais la raison nous permettra de désirer une bonne santé, et un tel désir pourra être plus fort et nous conduire à ne pas céder au premier désir de sucre.
Il y a deux choses à apprendre de cette observation :
— La première est qu’il faut faire attention à nos justifications qui ne sont parfois que la rationnalisation de notre désir qui nous pousse, désir dont nous ne connaissons pas l’origine – peut-être la peur, la frustration, l’envie de gloire ou d’être aimé. Si nous sommes honnêtes avec nous-mêmes, nous saurons quand est-ce que nos désirs nous poussent à faire ce qui est peut-être contre notre intérêt.
— La seconde est que nous pouvons utiliser la raison comme moyen de créer les désirs qui nous sont favorables, créer les désirs qui nous poussent à être meilleurs. Nous pouvons désirer le courage, la bonté, la générosité, l’amour. Il y a de bonnes raisons qui peuvent nous y pousser. Elles sont instinctives, pas besoin de les citer.