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Irvin Yalom, notre relation aux autres et notre solitude (3/3)

Vous pouvez retrouver la première partie ici: http://www.apprendreavivre.fr/irvin-yalom-regarder-le-soleil-en-face-1-3/

Et la deuxième ici:
http://www.apprendreavivre.fr/irvin-yalom-des-idees-fortes-pour-mieux-vivre-2-3/

La solitude inter-personnelle :

Nous sommes fait pour vivre en groupe. Nous sommes des êtres humains, des êtres sociaux, notre besoin des autres est tellement fondamental qu’être écarté, exilé, isolé est tellement douloureux qu’il peut être littéralement mortel. Bien souvent, pour éviter de trop en souffrir, on essaye de rationnaliser la solitude dans laquelle on vit en se disant que c’est pour notre bien, en surévaluant les avantages qu’elle nous apporte, en prétendant qu’on ne souffre pas de sa solitude parce qu’on est un solitaire, et autres raisons qui soulagent notre peine. Alors qu’en vérité, cette solitude est « souvent liée à la crainte de l’intimité ou à des sentiments de regret, de honte, ou d’impossibilité d’être aimé.1 »

Nous pouvons comprendre que quelqu’un qui se trouve face à la mort aura tendance à s’isoler, à se taire pour éviter d’entraîner ceux qu’il aime dans sa souffrance. Il aura peut-être honte d’être dans l’état dans lequel il est, et n’osera pas demander de l’aide. Que ce soit quelqu’un qui est gravement malade et fait physiquement face à la mort, ou quelqu’un qui souffre de crises d’angoisses liées à sa mortalité, la solitude peut aggraver encore plus la peur de la mort et rendre leur vie insupportable. La relation aux autres peut ici venir pour soulager ce sentiment et rendre moins difficiles les événements qu’ils traversent.

Le pouvoir de l’empathie nous permet de percevoir les sentiments des autres, de comprendre plus ou moins ce qu’ils traversent et d’essayer d’agir pour les soulager autant que possible. Ainsi nous pouvons comprendre qu’une personne proche de nous qui souffre face à la mort peut de lui-même s’isoler et c’est peut-être difficile pour nous mais si nous voulons agir, Yalom nous dit que2 : « vous ne pouvez rendre plus grand service à quelqu’un qui affronte la mort que de lui offrir votre simple présence. » Il suffit d’être là, d’écouter, de discuter, de ne pas laisser la personne s’engouffrer dans ses pensées en boucle qui mènent toujours aux mêmes tristes conclusions. Il ne s’agit pas de minimiser sa souffrance, de lui dire qu’il y a pire situation que la sienne (ce qui peut être très irritant et contre-productif), mais de lui montrer qu’il n’est pas seul face aux difficultés. Yalom nous demande même3 : « Serrez contre vous celui qui souffre de manière à lui apporter le maximum de réconfort. »

Nous pouvons aussi partager avec cette personne une partie de nous-même, révéler nos idées et sentiments les plus profonds, ce qui facilitera pour elle de révéler son angoisse à son tour, et ainsi de la soulager. L’intimité qui est développée durant ses moments difficiles permet de développer une amitié durable qui est bénéfique pour tout le monde.

Les personnes qui affrontent la mort, que ce soit physiquement ou psychologiquement, peuvent aussi bénéficier des groupes de soutien que l’on peut trouver sur Internet, ou les groupes dirigés par des professionnels, où ils trouveront d’autres personnes qui traversent les mêmes angoisses, et avec qui ils peuvent entrer en empathie, ce qui peut améliorer leur situation et les aider à mieux vivre.

La solitude existentielle :

Au-delà de la solitude inter-personnelle que l’on peut ressentir face à la mort, Yalom nous parle d’une autre forme de solitude. La solitude existentielle est celle que l’on peut ressentir lorsqu’on voit que notre mort va mener à la disparition de tout notre environnement personnel, mettre fin à toute notre expérience, effacer tous nos souvenirs. Tout au long de notre existence, nous avons développé tout un univers qui nous est propre, que nous sommes seuls à connaître vraiment, que nous ne pourrons jamais partager en totalité avec les autres, et cet univers est destiné à disparaître avec nous.

Une manière de soulager cette solitude est à trouver dans le Rippling dont nous avons discuté dans le chapitre précédent. Savoir que nos actions ont bénéficié à d’autres, que nos mots ont aidé à les transformer, que quelqu’un vit mieux car nous lui avons appris notre savoir ou transmis notre savoir-faire, qu’une part de nous-même vit dans d’autres personnes et les rend meilleurs, tout cela permet de sentir que notre existence n’a pas été aussi vaine, aussi insignifiante que les nihilistes veulent nous le faire croire.

Tout de que nous avons appris dans la vie au travers de notre expérience personnelle peut bénéficier et aider les autres à mieux s’en sortir. Nous pouvons leur transmettre les valeurs (l’amour, le courage, la liberté, etc.) que nous jugeons essentielles pour bien vivre. Nous pouvons les leur transmettre jusqu’aux moments les plus difficiles, lorsque nous devons physiquement affronter la mort. En agissant dignement face à une maladie grave, en affrontant courageusement la mort, nous montrons à nos proches un modèle de vie humaine. Lorsque ceux que nous aimons auront à traverser eux-mêmes de telles difficultés, ils pourront se rappeler de nous, de notre dignité, de notre courage, et tenter de nous imiter.

Si nous voulons tous que nos actions aient bénéfié les autres, notre rôle réciproque est aussi de montrer notre gratitude envers ceux qui ont compté pour nous, leur dire comment ils nous ont aidé, et que ce que nous avons gagné grâce à eux va bénéfier d’autres à travers nous. « Trop souvent, la gratitude envers une personne pour le rayonnement qu’elle a eu à travers le monde s’exprime non quand elle est en vie mais après sa mort. Combien de fois à des enterrements avez-vous souhaité que le défunt soit là pour entendre prononcer son éloge funèbre ou les témoignages de gratitude ? Combien d’entre nous ont souhaité pouvoir, comme Scrooge, entendre ce qui se dirait à nos propres funérailles ? Moi oui.4 »

Pour exprimer notre gratitude avant qu’il ne soit trop tard, Yalom nous introduit à un exercice qui consiste à écrire une lettre à une personne qui a compté pour nous et à qui nous devons quelque chose, et à la lui transmettre pour qu’il sache l’importance de ses actions.

Enfin, pour se protéger contre la solitude existentielle et le sentiment que notre vie va partir vainement en éclat, Yalom nous parle de la valeur du regret5 : « Le regret a mauvaise réputation. Bien qu’il soit en général associé à une irrémédiable tristesse, il peut être utilisé de manière constructive. » Se rendre compte de ses regrets peut aider à prendre en main sa vie pour ne pas avoir à en vivre d’autres et sentir que nous allons mourir sans avoir vraiment vécu (un des pires sentiments à éprouver, une horreur absolue, un mouroir pour l’âme). Il s’agit donc de se projetter dans l’avenir (à un an ou à cinq ans) et se demander ce qu’il faut faire pour ne pas sentir les mêmes regrets à ce moment-là, et comment agir pour ne pas fabriquer de nouveaux regrets. Nous avons le pouvoir d’agir sur le présent et de vivre de telle sorte que nous ne devenions pas un tombeau de regrets. Nous pouvons et devons changer à la fois notre intérieur et notre extérieur pour vivre comme nous le souhaitons. C’est lorsque nous ne le faisons pas que nous nous rendons proie au sentiment de solitude existentielle et d’angoisse de mort, au sentiment d’avoir raté tout ce que nous aurions pu vivre, tout ce qui était à notre porté si nous avions eu le courage d’agir pour y arriver.

La personne que nous serons dans l’avenir nous regarde et s’apprête à parler. Qu’est-ce que nous voulons qu’elle dise ?

1 Irvin Yalom, Le jardin d’Épicure, chapitre 5

2 Irvin Yalom, Le jardin d’Épicure, chapitre 5

3 Irvin Yalom, Le jardin d’Épicure, chapitre 5

4 Irvin Yalom, Le jardin d’Épicure, chapitre 5

5 Irvin Yalom, Le jardin d’Épicure, chapitre 5

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