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Vivre sur terre: souvenir d’un soir d’été

Il est 21h, le soleil n’est pas encore tombé sous l’horizon, sur le sable des vacanciers jouent encore avec leurs enfants, et la mer se retire lentement et se contracte. Elle reviendra dans quelques heures. Il y a du monde sur la côte, tout à l’air d’aller pour le mieux sous le soleil. Vivre semble plus facile en été.

Nous n’avons pas l’impression qu’il faille beaucoup batailler pour vivre les soirs d’été. Voir le soleil se coucher sur une mer comme un miroir sur laquelle quelques bateaux flottent et quelques goélands s’ennuient, sentir une légère brise qui transporte un parfum marin, ne pas penser au lendemain ni à la veille mais pouvoir porter toute son attention au présent qui saisit. Les soirs d’été, nous n’avons pas besoin de justifications pour nos vies, tout est clair, tout est naturel, tout va de soi.

Or, toutes les heures de nos vies ne sont pas des soirs d’été. Durant les autres heures, plusieurs questions se posent, nous devenons plus méfiants, plus critiques, plus sévères, nous perdons cette facilité devant le monde, car nous voyons bien que tout n’est pas aussi clair que devant un soleil qui entre dans une mer orangée et rouge comme un lac de feu. Mais alors, durant les heures communes, les heures pluvieuses, les heures où un voile brumeux est posé sur tout objet même familier, que nous faut-il pour vivre sur terre ?

J’apprécie ces dernières lueurs, cette lumière qui s’éteint si gracieusement, si joliment, si brillamment, je l’accueille dans sa totalité jusqu’à son dernier souffle, quand le dernier trait de soleil se réduit sur l’eau. Je vénère ces instants de beauté suprême, jamais elle ne perdent de leur effet sur moi. Mais je sais aussi que l’été expire après chaque soir sur le sable, et je vois déjà les hommes trembler quand l’automne leur rappellera que l’hiver est tout près. Je vois déjà dans les prochains mois les visages se crisper, les âmes se tendre et se désépaissir, perdre de leur chaleur, je vois leur confiance s’effriter et leur esprit douter au sujet de leur être et de leur vie. Je suis de cette humanité, je suis de ces hommes et je me demande avec eux : que nous faut-il pour vivre sur terre ?

Je ne sais pas la totalité de ce qu’il faut pour y arriver, le monde est trop vaste pour le couvrir de réponses dans sa totalité. Le temps passe pourtant, l’automne commence, l’hiver arrive, et les réponses manquent et manqueront toujours, or il faut bien quelques éléments pour rester debout devant le monde, et je crois que s’il n’y avait qu’une seule chose dont nous aurions besoin pour y arriver, c’est bien du courage. Nous ne maîtrisons pas le sort, nous ne savons pas les cartes que l’avenir a encore à nous présenter, il y a forcément de l’inconnu et de l’indéfini dans nos vies, il y a de l’instable et de l’inévitable, il y a de la matière trop fluide pour pouvoir la tenir avec ses mains, il y a des astéroïdes qui peuvent s’écraser sur le sol et faire trembler nos pieds, il y a des volcans qui peuvent subitement rugir depuis les profondeurs de nos esprits inquiets, nous ne savons pas quelle grotte a été creusée sur le chemin que nous empruntons, mais nous savons que nous risquons de tomber dans un labyrinthe sans sortie.

Et pour affronter tout ce qui nous est caché, pour explorer l’inconnu, pour dévoiler les secrets, pour démystifier le vertigineux, pour continuer à sourire malgré tout, pour ne pas tomber dans la fatigue et la tristesse des jours, il faut appeler toute sa volonté, et faire preuve de beaucoup de courage, toujours à portée de main, constamment sollicité, parfois comme un cheval sur lequel avancer, mais aussi parfois comme une prise à saisir pour s’empêcher de tomber. Je sais combien j’en ai eu besoin, et je sais combien j’en ai manqué parfois, souvent, car je me rappelle du nombre de fois que je suis tombé. C’est pour cela qu’il ne faudra pas oublier de l’invoquer quand il sera nécessaire, c’est-à-dire presque tout le temps, avec plus ou moins d’intensité.

L’hiver est bientôt là et je ne le crains pas. Je promets à la terre que cet hiver sera un grand hiver. L’été se termine et l’automne démarre, mais ce n’est pas une perte ni une chute qui se prépare. Quand d’une beauté, hélas, on se sépare, une autre tout aussi sublime se hisse. Regardez ces arbres qui rougissent, quel bel automne qui démarre !

Devant cette mer qui n’a pas d’histoires à me raconter, je vais rester encore à observer son mouvement, jusqu’à ce que disparaisse toute trace du jour, et je prendrai exemple sur elle qui, même dans la nuit, continue à chanter.

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