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Apprendre à réagir grâce à l’exercice de l’attention à soi

Chacun de nous a une faille qu’il connaît et dont il ne parle pas. Il y a quelque chose qui le fait réagir au quart de tour, et il le manifeste avec une émotion qu’il n’aurait pas aimé avoir : la peur, la colère, la tristesse, le mépris de soi ou des autres.

On les voit à la télévision, les écrivains, les cinéastes, les acteurs, qui lorsqu’on leur dit que leur art n’est pas bon se mettent à se défendre violemment et à se mettre dans des états qui font pitié. Ils se sont tellement identifié à leur art qu’une critique est vécue comme une attaque personnelle. Alors ils ne réfléchissent pas et ils réagissent avec les émotions de l’instant.

Mais ce genre de réactions nous arrivent souvent dans beaucoup de situations. Quelqu’un qui a été rejeté après un entretien professionnel pourrait se dire qu’il ne trouvera jamais de travail parce qu’on ne voudra jamais de lui, alors que c’est une conclusion qui est disproportionnée par rapport à l’événement. Le doute qu’il a de lui-même et de sa valeur le fera aller aux prochains entretiens avec l’idée qu’il ne sera pas pris, ce qui diminuera ses chances d’être embauché. Ses propres réactions et ses propres jugements vont saboter ses chances.

Quelqu’un qui a peur de se retrouver seul va vivre dans la peur constante de perdre son partenaire. Et à chaque fois que quelque chose n’ira pas, il se mettra à imaginer que c’est fini, qu’il se retrouvera seul encore une fois, et réagira avec méfiance envers celui qui partage sa vie, jusqu’à finir par le perdre vraiment.

Quelqu’un qui se pense introverti, pas drôle, inintéressant, ne va pas chercher à aller rencontrer du monde. Et quand on l’invitera quelque part, il trouvera tout de suite une excuse pour ne pas y aller, car il se dira qu’en vérité on ne veut pas de lui là-bas, même si on vient juste de l’inviter. Alors cela renforcera sa perception de lui-même comme quelqu’un d’introverti, et il continuera à s’isoler alors qu’il pourrait partager beaucoup de choses avec beaucoup de gens qui ont les mêmes passions que lui.

Nous avons tous des réactions qui sont devenues automatiques devant certains événements. Et parfois elles nous coûtent très cher, beaucoup trop cher. Que ce soit la colère, la tristesse, l’anxiété, le dénigrement, il y a des boucles dans la tête qui se répétent et qui vont continuer à dicter notre vie si nous ne les changeons pas. Et le temps passe dans ces conditions, mais jusqu’à quand ?

« Est-ce qu’il est même possible de changer ? » Il y en a qui en doutent, parce que cela paraît tellement difficile. Pourtant il y a une manière de contrer ces pensées automatiques et ces réactions émotives instantanées, c’est en ayant conscience de soi quand elles sont sur le point d’arriver.

Dans le stoïcisme, il y a un exercice qui est destiné à développer cette capacité, l’exercice de « l’attention à soi » (prosochè). C’est l’exercice le plus fondamental1, car sans lui rien ne peut changer, puisque pour changer il faut d’abord se rendre compte du problème. Un voyageur qui ne consulte pas sa carte ne va jamais penser qu’il est perdu. À chaque fois qu’il se trouve devant deux chemins à prendre, il avance sans lire les panneaux.

L’attention à soi consiste à se concentrer sur ce qui se passe émotionnellement en nous pour bien réagir au lieu de se précipiter. Nous connaissons les événements qui provoquent tout de suite en nous des émotions fortes comme la colère, la tristesse ou la peur. Nous les avons déjà vécues. Et nous savons parfois même les raisons pour lesquels nous les avons, même que nous pouvons avoir honte de ces raisons. Que ce soit face à son chef, à son conjoint, à ses enfants, ou ses amis, il peut y avoir une émotion de peur, de se sentir pas suffisant, de se sentir impuissant, de se sentir vulnérable.Il y a toutes ces émotions qui surgissent, et dans l’exercice d’attention à soi, il faut s’arrêter un moment face à ces émotions et se dire : « voilà que je ressens ça, comme d’habitude devant cette situation. » Et au lieu de réagir comme d’habitude, s’arrêter un moment et changer sa manière d’y faire face. Du coup, on ne va pas se dénigrer avant un entretien, on ne va pas vivre dans le doute dans sa relation, on ne va pas refuser de passer du temps avec les autres.

On ne réussit pas toujours à le faire, car les boucles qui se sont construites dans sa tête sont vieilles et solides. Mais au fur et à mesure, on se rend compte de plus en plus de nos réactions. Parfois cela arrive trop tard, mais de plus en plus tôt avec la pratique, et on arrive à les changer à force d’attention à soi.

L’exercice d’attention à soi est un exercice de conscience de soi. C’est un exercice qui demande un engagement personnel et un effort qui n’est pas facile à faire. C’est aussi pour cette raison qu’il est efficace. Il demande de la volonté, et une concentration sur l’envie de ne pas laisser sa vie passer dans des schémas douloureux, dans l’héritage du passé.

L’avenir continuera à ressembler au passé tant que nous ne cassons pas consciemment le lien dans le présent.


1 Pierre Hadot, Exercices spirituels et philosophie antique, Exercices spirituels, I – Apprendre à vivre.

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