« Associez-vous à des personnes susceptibles de vous améliorer. Accueillez ceux que vous êtes capables d’améliorer. Le processus est mutuel : les hommes apprennent comme ils enseignent. » Sénèque.
Nous sommes comme des éponges qui absorbent tout ce à quoi elles sont exposées. Le soleil nous donne le sourire et la grisaille nous déprime. Nous croyons que c’est les événements du jour qui nous rendent plus heureux ou plus malheureux mais parfois ce n’est qu’une question d’environnement. Une journée chargée peut nous paraître tranquille avec un grand soleil haut dans le ciel, et une journée calme peut nous paraître longue et difficile quand les nuages gris fabriquent leur étrange obscurité. Nous absorbons notre environnement. Et nous absorbons aussi tout ce que notre entourage dégage et projette sur nous.
Nous nous croyons totalement indépendants et libres dans nos pensées, que personne n’influe sur nous sans que nous n’en soyons conscients, que nous savons exactement pourquoi nous sommes ce que nous sommes à chaque instant. Or c’est une erreur qui coûte cher. Peut-être que nous ne le voulons pas mais malgré nous, ceux qui nous entourent définissent en grande partie ce que nous sommes. Si nous nous entourons de gens inquiets, nous serons de plus en plus sujets à l’inquiétude, même si nous ne le sommes pas naturellement. Si nous nous entourons de gens moqueurs et méprisants, nous serons moqueurs et méprisants. Si nous nous entourons de paresseux, nous serons paresseux. Si nous nous entourons de criminels, nous commettrons des crimes. Nous n’échapperons pas à cette loi d’assimilation au groupe auquel nous appartenons. Nous ressemblons à nos amis, et ils n’auraient pas accepté notre amitié si nous ne leur étions pas similaires. On a rarement vu des gens dissimilaires se cotôyer, et quand c’est arrivé on a vite entendu les bruyantes disputes.
Celui qui veut mener une vie philosophique et qui désire progresser spirituellement pour être un meilleur vivant, davantage capable de bien, qui est bon et qui est apprécié pour sa bonté, qui sait un peu mieux maîtriser ses émotions que le commun des hommes et qui essaye de ne pas se laisser avoir par les passions tristes telles que la haine, le mépris ou la crainte ; cette personne qui veut le progrès doit faire attention aux personnes qui l’entourent, à ses fréquentations, à ses amis.
« Faut-il alors abandonner ceux dont nous nous rendons compte qu’ils nous rabaissent et nous forcent à être ce que nous ne voulons plus être ? » S’ils ne soutiennent pas le progrès personnel que vous cherchez, s’ils ne vous accompagnent pas et qu’ils essayent de vous ramener là d’où ils ne veulent pas bouger, c’est-à-dire à l’endroit que vous voulez éviter, alors oui, il faudra les abandonner. C’est un choix difficile à faire, mais si vous pensez que votre bien se trouve ailleurs qu’en leur compagnie, alors vous devrez les perdre pour le trouver. Épictète n’est pas moins ferme sur ce genre d’amitiés1 : « Voici pour toi un sujet d’étude prioritaire : comment éviter de retomber avec tes anciens amis, tes connaissances, dans une intimité si étroite qu’elle te fasse redescendre à leur niveau. Sinon tu te perdras. […] Choisis alors ce que tu préfères : continuer à plaire à tes anciens amis en restant tel que tu étais, ou valoir mieux et, du coup, cesser de jouir de ton ancienne popularité. […] Car tout progrès est impossible à qui veut courir deux lièvres à la fois. »
On pourrait nous dire : « Mais alors ce progrès que vous cherchez vous fait abandonner vos amis, vos proches. Êtes-vous certain que c’est un bien ? Il nous paraît au contraire un chemin vers la solitude, l’isolement et la tristesse. » Il ne s’agit pas du tout d’abandonner toute amitié. Il ne s’agit pas de refaire sa vie et d’oublier tout le passé. Il ne s’agit pas d’une sorte de vie d’ermite dédiée à la philosophie et au progrès personnel. Les stoïciens ont toujours dit à quel point la vie en communauté est essentielle, que le rôle du philosophe était dans la cité au milieu de ses concitoyens à qui il essayait de rendre service, et ils ont insisté sur combien l’amitié était l’une des plus grandes sources de joie dans ce monde. Il s’agit plutôt d’éviter les personnes qui sont une nuisance pour notre bien-être, ceux qui n’arrivent à ne dégager que le plus mauvais en nous, et d’essayer plutôt de côtoyer ceux qui vont nous rendre meilleurs et nous aident à progresser.
Parfois il n’est pas non plus difficile de perdre ces premiers amis. Quand ils nous verrons progresser, au lieu de nous encourager, ils seront les premiers à nous rabaisser et à nous dissuader de continuer sur notre chemin. Notre progrès leur montre leur misère, leurs défauts. Alors ces personnes que nous pensions être nos amis commenceront à avoir pour nous de la haine et de l’envie, passions tristes que nous voulons justement éviter. Il n’est pas difficile de perdre ces amis car ils nous rejetteront en premier. Il y a déjà deux milles ans, Épictète donnait un exemple qui pourrait être repris mot pour mot aujourd’hui2 : « Si tu ne bois plus, impossible de continuer à plaire à tes anciens compagnons de boisson ; choisis ce que tu préfères : leur plaire en buvant comme un trou ou être sobre et leur déplaire. »
Au final, sachons choisir nos amis et faisons très attention à qui nous laissons entrer dans nos vies. Entourons-nous de gens à qui nous voulons ressembler. Soyons proches de ceux qui peuvent nous apprendre la bonté, le courage, la volonté et la bienveillance.
1Épictète, entretiens, IV, 2
2Épictète, entretiens, IV, 2