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Exercice de gratitude : Gloire aux professeurs (1/3). M. Zidanie, la littérature et la tolérance.

Nous commençons très rapidement à accuser tous ceux qui nous ont fait du mal lorsque nous sommes en train de tomber, nous identifions très vite celui-ci qui nous a bousculé et celui-là qui nous a secoué, et quand nous sommes à terre, nous les détestons et nous nous disons : « rien de cela ne serait arrivé s’ils n’avaient pas été là ». Mais lorsque nous sommes en train de progresser, lorsque nous sommes en train de conquérir du terrain intérieur, lorsque nous sommes en train de grandir et d’être plus capable de se construire vers ce qui est meilleur pour nous, lorsque nous sommes enfin à peu près solide et que nous nous voyons continuer à marcher avec fermeté vers le meilleur, nous n’attribuons cette réussite qu’à nous-mêmes, et nous croyons que ce n’aurait pas été possible autrement que grâce à notre seule volonté. Cette croyance vient du fait qu’il est vrai que personne ne peut nous forcer à changer et qu’il n’y a que nous-mêmes qui pouvons fournir l’effort pour y arriver, pour pouvoir avancer. Cependant nous oublions tous ceux qui ont été là pour nous éveiller à notre marche, pour nous encourager sur notre chemin, pour éclairer des voies que nous n’aurions pas pu apercevoir seuls. Quand nous sommes dans une situation où beaucoup d’aspects de notre vie fonctionnent à peu près comme nous le voulons, nous oublions de dire de ces gens-là aussi : « rien de cela ne serait arrivé s’ils n’avaient pas été là. »

Je voudrais pour ma part évoquer quelques-unes des personnes qui ont été importantes pour ma construction. Ce sont trois de mes professeurs que je n’oublierai jamais, et dont le souvenir me revient toujours avec bonheur.

 

Première partie : M. Zidanie, la littérature et la tolérance

C’était la dernière année du lycée, tout le monde n’avait pour objectif que d’avoir son baccalauréat avec la meilleure note possible pour avoir le choix d’accéder aux études supérieures qu’il voulait, objectif qui n’était pas complètement insensé. J’étais dans la filière scientifique, et dans ma classe on ne pensait qu’aux mathématiques et à la physique, c’était les plus gros coefficients, c’était là où il fallait exceller. Durant la semaine de cours, tous mes camarades ne pensaient qu’à préparer leurs séances scientifiques. Tout ce qui était littéraire n’avait aucune considération pour eux. Le plus important était d’abord les maths, puis la physique, et le reste n’importait pas. Ils assistaient à ces autres cours sans vraiment porter attention aux professeurs, juste pour ne pas être marqué absent et devoir affronter la direction du lycée. Mais je me rappelle qu’il y avait un cours très important pour moi, il se déroulait le vendredi matin je crois, peut-être le jeudi je ne sais plus, mais en tout cas c’était un de ces cours que mes camarades auraient bien aimés éviter. C’était un cours de français, et contrairement à mes camarades, j’attendais cette séance comme le couronnement de ma semaine. Elle comptait encore plus que celles de mathématiques et de physique, car ce que j’y apprenais était pour moi ce qu’il y avait de plus important. Je me rappelle entrer à la salle de classe et me mettre au premier rang, juste devant le professeur. Avec M. Zidanie, nous lisions Le rouge et le noir de Stendhal, livre qui avait rebuté beaucoup de mes camarades, et que moi-même, à l’époque, avait eu du mal à suivre tant il me semblait dense et sans fin. Mais c’est durant les cours de français que j’ai découvert la splendeur de ce livre et c’est grâce à mon professeur que j’y suis arrivé. Il nous expliquait les scènes, les descriptions, le génie de Stendhal, comment il utilisait l’environnement pour dire quelque chose des émotions des personnages, ce que telle phrase disait de la psychologie de Julien Sorel, de ses désirs, de ses envies, ce qu’il cache, ce qu’il révèle, comment Stendhal arrive à ne pas dire directement ce qu’il veut que l’on comprenne mais que l’on finit par comprendre lorsqu’on apprend à lire les phrases dans leur contexte. Pour moi c’était fascinant. Je me souviendrai toujours de ces heures passées à essayer de dévoiler ce qui était insinué par l’auteur, ce que les grands écrivains arrivent à transmettre indirectement et qui est d’autant plus puissant que le lecteur le découvre par lui-même en prêtant attention à ce qui est écrit. Mais mon professeur ne m’avait pas juste fait aimé la littérature.

M. Zidanie était quelqu’un de très cultivé, et dès qu’il y avait un élément historique dans le livre que nous étions très susceptibles de ne pas connaître, il nous en parlait en essayant de susciter notre curiosité et de réveiller notre savoir. C’était ce que j’aimais le plus, car à chaque qu’il nous demandait si nous connaissions tel événement historique, je sursautais pour étaler le peu de savoir que j’avais. Et il me corrigeait, ou il m’approuvait partiellement, et il essayait d’expliquer à la classe de quoi il s’agissait. J’étais fasciné par tout ce qu’il nous apprenait, et je voulais en savoir plus, alors il fallait que je lise plus et que je développe ma culture, car ma curiosité le voulait.

Nous parlions aussi de comportement humains, de sentiments, et il nous demandait ce que nous pensions des réactions des personnages, de leurs actes, de comment est-ce que nous les jugions à partir de ce qu’on nous avait appris. Or le lycéen est un juge très sévère et nous formions dans la classe un petit tribunal révolutionnaire qui n’avait ni prison ni guillotine pour les personnages de fiction. Mais ce que mon professeur m’avait appris, c’était de comprendre avant de juger. Il nous demandait de nous mettre à la place de ceux qu’on jugeait, de prendre en compte l’époque, la culture, la manière de penser, les circonstances de l’événement, il nous demandait de comprendre ce que le personnage pouvait ressentir, et quand nous restions malgré tout très dur et catégorique sur ce que pensions des coutumes et de la moralité des gens que nous condamnions, il nous demandait ce que nous penserions si quelqu’un d’une autre culture venait critiquer et condamner la nôtre avec autant de virulence et de certitude. Évidemment cela ne plaisait à personne dans la classe, mais plusieurs de mes camarades finissaient simplement par dire « ils ont tort, nous avons raison » avec une inébranlable conviction. Beaucoup de ces lycéens sont restés toujours aussi convaincus par leurs positions malgré les années qu’ils ont vécus, mais moi, cette année-là, mon professeur m’avait appris la tolérance et le besoin d’apprendre plus sur l’autre et comment il peut naturellement penser différemment de moi, et les raisons pour lesquelles il pense ainsi, avant de juger ce qu’il pense. C’était une des leçons les plus importantes de ma vie, et que j’ai toujours gardé et appliqué durant les dix années qui me séparent aujourd’hui de l’année du baccalauréat. C’était grâce à M. Zidanie que j’ai appris à avancer vers cet autre qui m’est étranger, à être curieux de lui, à essayer de le comprendre avant toute chose, et à respecter qui il est. Mon professeur m’a aidé à me construire en bien, je lui suis reconnaissant pour la vie. Ce qu’il m’a appris fait aujourd’hui et fera toujours partie de moi.

 


 

Tableau: Giovanni DO, Un maître et son élève, Musée des Beaux-Arts de Bordeaux

 

 

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