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Être heureux, ou réussir ?

Il y a une croyance dans l’esprit des insatisfaits, et nous le sommes en majorité dans ce monde, qui est que la réussite nous rendra heureux, enfin. Alors on poursuit la réussite pour avoir le bonheur, et peut-être qu’on atteint la première, mais qu’on reste loin du second. Je voudrais proposer ici que le bonheur et la réussite s’atteignent par deux chemins différents. Je dirais même qu’ils sont opposés ! Lequel choisir ?

Nous ne sommes pas tous faits pareil. Il y a des gens qui ne ressentent pas de tensions fortes, de doutes incessants, de ruminations, d’angoisses, d’anxiété. Le philosophe André Comte-Sponville appelle ces gens les « doués pour le bonheur ». Ceux-là ont l’air de ne pas vivre dans le même monde que le reste d’entre nous. Ceux-là ne sont pas à la recherche de ce quelque chose qui pourrait enfin éteindre le feu. Ces gens-là ne nous intéressent pas, car on les envie trop pour leur donner de la considération. Pour le reste d’entre nous, qui brûlons de l’intérieur, notre énergie est déployée constamment pour éteindre le feu.

Dans un monde dominé par l’image de soi, dans les réseaux sociaux, la télévision, les magasines, les affiches, nous sommes tout le temps exposés à toutes ces personnes qui ont l’air de réussir bien plus que nous autres. Les acteurs, les chanteurs, les sportifs, les artistes. Ils ont l’air tellement heureux ! Et nous ne le sommes pas. Alors nous allons à la poursuite du même puits qui a l’air de les satisfaire. Qui ne s’est pas imaginé au plus haut de sa profession ou de sa passion ? Applaudit et admiré. C’est grisant. Euphorisant. Si on peut l’être, pourquoi ne pas tenter d’y aller ?

Cette image de soi, qui a réussi, qui est au-dessus, est une image heureuse. C’est la promesse d’un bonheur infini qui se trouverait en haut de la montagne qui nous pousse à nous démener. Or le bonheur ne se trouve souvent pas là-bas. On arrive en haut de la montagne et l’insatisfaction est toujours-là. Alors on cherche une autre montagne plus haute. Or le bonheur ne se trouve pas non plus là-bas. Car en vérité, il a toujours été présent, mais on ne le voyait pas, trop aveuglé par la réussite.

Le Bouddha, dans sa sagesse éternelle, avait déjà identifié qu’un point central du malheur de l’être humain était l’insatisfaction (Dukkha) qui créait des désirs incessants. Les stoïciens le rejoignaient dans l’idée qu’il fallait savoir gérer ses désirs. La psychologie moderne a redécouvert beaucoup des grandes vérités sur le bonheur que les sages de toutes les cultures nous ont léguées, et nous a doté de beaucoup d’outils pour pouvoir être heureux.

Pour être heureux

Si c’est le bonheur que vous cherchez, voici quelques points sur lesquels se pencher :

1. D’après le célèbre cours de psychologie de Laurie Santos, pour être plus heureux, il nous faudrait savoir :

– savourer les moments que l’on vit lorsqu’on les vit. Autrement dit, vivre le moment présent comme diraient les stoïciens

– Exprimer notre gratitude envers les choses et les gens qui nous font du bien

– Consommer moins des choses dont nous abusons parce qu’elles nous donnent du plaisir, autrement dit faire preuve de modération

– Varier les plaisirs

– Privilégier les expériences plutôt que la consommation d’objet

– Être actif et concentré dans un travail qui nous demande de la compétence et usent de nos forces personnelles (empathie, rigueur, etc.)

2. D’après le psychologue social Jonathan Haidt, voici ce que la psychologie a montré comme outils efficaces pour se rendre plus heureux :

– La méditation, qui nous vient du bouddhisme, et qui permet d’avoir l’esprit plus calme et attentif

– Les exercices des thérapies comportementales et cognitives, qui ressemblent aux exercices spirituels stoïciens, et qui nous permettent d’agir sur notre comportement et sur nos pensées pour en avoir un meilleur contrôle

– Avoir un meilleur contrôle sur son environnement et ce qui nous entoure

– Passer du temps avec ses procheset nouer des relations sociales fortes

– Être davantage à l’écoute de ce qui nous transcende, que l’on soit croyant ou pas. Comme ce que recommandent les stoïciens sur la contemplation de la nature

3. Les Thérapies Comportementales Cognitives ont montré leur efficacité pour aider à mieux vivre et à être plus heureux. Voici quelques outils qu’elle propose :

– Fixer des objectifs clairs sur ce que nous voulons être et réaliser dans notre vie (relations, sens, éducation et travail, santé physique, etc.)

– S’engager dans des activités qui demandent notre attention et notre énergie

– Identifier les pensées négatives qui tournent en boucle dans la tête et les remettre en question

– Identifier et changer nos convictions et croyances fondamentales

4. Ethan Kross est un psychologue spécialiste de notre voix intérieure qui parle sans cesse et qui s’inquiète souvent. Voici ce qu’il propose pour mieux gérer cette voix intérieure :

– Prendre spatialement de la distance avec soi, et se parler comme si on parlait à un ami. Par exemple à la deuxième ou à la troisième personne.

– Prendre temporellement de la distance avec soi, c’est-à-dire se projeter dans l’avenir ou dans le passé pour se rendre compte que ce qui nous inquiète n’est pas si compliqué que ce que nous pensons à l’instant

Pour réussir

Pour gagner dans ce monde, pour réussir, être très émotif, sensible et avoir de la compassion n’a pas l’air d’être favorable. Au contraire il faudrait davantage pensé à la fin à laquelle on veut arriver sans prendre en considération les dégâts humains. Il ne vaut mieux pas vouloir plaire et être attentif aux besoins émotionnels des autres. La victoire est la seule métrique, qu’importe les moyens. Il faut être acharné et vouloir être le meilleur, quitte à subir doutes, anxiété, malheurs, rejets, échecs et beaucoup d’émotions négatives inhérentes au fait de chercher quelque chose de très difficile à atteindre. Et en même temps, il faut être convaincu qu’on est capable d’arriver à cette chose, avoir l’illusion de sa propre supériorité, avoir l’ego qui nous pousse à montrer cette supériorité.

On peut voir du côté de ceux qui sont arrivés aux sommets de leurs professions, de leur art. Ceux qui sont admirés et adulés par des millions :

– Victor Hugo, à 16 ans, disait qu’il voulait être « Chateaubriand ou rien », il a fini par dépasser de loin son idole en écriture.

– Bill Gates, un des milliardaires les plus connus du monde, n’a pas hésité à écraser sa compétition dès qu’il pouvait pour monter Microsoft. C’était un homme d’affaire sans pitié. Il voulait d’abord être le meilleur.

– Steve Jobs, qui est adulé par des millions comme étant un des plus grands entrepreneurs et créateurs de tous les temps, était un homme exécrable avec ses employés qu’il menaçait souvent et avec lesquels il était désagréable quand il fallait qu’il arrive à son objectif.

– Michael Jordan, le plus grand joueur de basket de tous les temps, était connu pour être très colérique, et n’hésitait pas à rabaisser ses adversaires et même ses coéquipiers quand il cherchait la victoire.

Ces gens-là n’étaient pas forcément heureux, même que certains étaient très malheureux. Eric Clapton, guitariste que ses fans appellent tout simplement « Dieu », disait qu’il était au plus haut de sa carrière et en même temps tellement malheureux qu’il voulait mourir.

Mais ces gens-là ont réussi des choses qu’extrêmement peu de gens réussissent. Encore plus difficile que le bonheur et la sagesse, c’est d’être au plus haut sommet de ce que l’humanité valorise.

Être heureux ou réussir

Alors faut-il chercher à être heureux, ou chercher à réussir ? Allons-nous regretter de ne pas avoir passé une vie heureuse, ou regretter de ne pas avoir réussi là où on aurait pu réussir ? Doit-on abandonner l’envie d’être heureux et subir les difficultés que demande toute réussite pour y arriver ? Ou doit-on abandonner l’envie de réussite pour se concentrer sur notre bonheur ?

Bien sûr nous avons toujours la capacité de redéfinir la réussite et la victoire pour correspondre à ce qui nous est possible d’atteindre. Dire que la réussite est surtout d’être heureux. Dire que gagner, c’est être plus sage et plus serein. Mais il faudra toujours lutter avec notre nature, avec les autres, et avec le monde entier qui voit bien que la réussite et la victoire est beaucoup plus chez Bill Gates, Victor Hugo, ou Michael Jordan, que chez celui qui a réussi à être heureux.

En vérité, le bonheur et la réussite ne sont pas opposées, comme j’ai pu le croire et le dire. En psychologie, on sait bien aujourd’hui que le bonheur passe aussi par la poursuite des choses que nous voulons réussir, quitte à ce que nous subissions des difficultés pour y arriver. Surmonter ces difficultés est elle-même source de bonheur. Développer sa puissance, comme dirait Spinoza ou Nietzsche, sa puissance d’agir, ses capacités, ses compétences, être davantage apte à faire face aux aléas de la vie, est une source de bonheur. Nous avons besoin de moments pour poursuivre ce qui est important pour nous, et des moments pour savourer le moment présent. Nous sommes des êtres qui vivont dans le passé et l’avenir, nous ne pouvons pas vivre que dans le moment présent, sinon on n’aurait pas réalisé tout ce que l’être humain est arrivé à faire. Les êtres humains que nous sommes ne sont pas faits uniquement pour contempler, ou méditer, ou se satisfaire de ce que nous avons. La nature humaine est peut-être mal faite, si l’on en croit les sages, peut-être que nos désirs sont excessifs et sources de malheur, mais aller contre cette nature humaine ne va pas nous rendre plus heureux. Notre ego est peut-être la source de beaucoup de malheurs, mais il nous pousse aussi à être meilleurs dans tout ce que nous entreprenons, et il fait partie de l’expérience humaine. Il nous faut aussi respecter cette nature humaine, sinon elle se retournera contre nous.

Être malheureux ne nous permet pas de réussir, et réussir ne nous rendra pas heureux. Mais chercher à réussir nous aide à être heureux. Nous pouvons à la fois chercher le bonheur, et chercher la réussite. L’un ne se fait pas sans l’autre.

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